Portrait de chercheur : Marie-Hélène Verlhac

22 mai 2023

Lors de la sclérose en plaques, le système immunitaire s'attaque à la myéline, une gaine située autour des fibres nerveuses des neurones, conduisant à terme à la neurodégénérescence. Maria Cecilia Angulo dirige une équipe de recherche dont l'objectif est de trouver un moyen d'induire ce phénomène pour protéger les neurones et retarder l'apparition des symptômes. Notre parrain Thierry Lhermitte est allé à leur rencontre à l'Institut de Psychiatrie et Neurosciences de Paris.

Cette rencontre a fait l'objet de la chronique de Thierry Lhermitte diffusée le lundi 22 mai 2023 dans l'émission « Grand Bien Vous Fasse » de Ali Rebeihi sur France Inter, à (ré)écouter ci-dessous.

Avant toute chose, expliquez-nous ce qu'est la sclérose en plaques :

II s'agit d'une maladie auto-immune neurodégénérative. « Auto-immune » parce qu'elle est due à un dysfonctionnement du système immunitaire, qui ne reconnaît plus les propres cellules de l'organisme et les attaque. « Neurodégénérative » car c'est au niveau du système nerveux central que ça se passe. La conséquence est la destruction progressive des neurones, les cellules nerveuses.

Comment cela se traduit-il ?

Tous les systèmes du corps sont susceptibles d'être touchés car ce sont les neurones du cerveau et de la moelle épinière qui commandent toutes les fonctions : il y a souvent une grande fatigue dès le début de la maladie, et selon les personnes, il peut y avoir des troubles de la vision, une faiblesse musculaire, des troubles de la marche, des engourdissements, des vertiges, des douleurs, des problèmes urinaires, des difficultés de concentration, et parfois des problèmes cognitifs qui arrivent au stade avancé.

C'est une maladie complexe, qui peut prendre plusieurs formes :

  • Dans la grande majorité des cas elle se présente sous forme de poussées, des périodes où apparaissent les troubles, qui disparaissent ensuite en quelques semaines ; Ces poussées sont plus ou moins fréquentes. Mais avec le temps les troubles s'installent, le malade ne se remet pas complètement à chaque poussée. Ça c'est la forme dite « rémittente ».
  • Dans une minorité de cas, la maladie évolue progressivement dès le début, avec des troubles qui augmentent au fur et à mesure. C'est la forme dite « progressive d'emblée », qui est aussi la plus agressive.

En général, au bout de quelques années d'évolution la forme rémittente, qui évolue par poussées, finit par devenir une forme progressive.

La sclérose en plaques est-elle une maladie fréquente ?

Oui, puisqu'on compte plus de 2,8 millions de malades dans le monde et 1 million en Europe. Il y a 3 fois plus de femmes que d'hommes malades et la maladie apparaît très jeune, en moyenne autour de 30 ans.

Mais il y a des zones géographiques davantage touchées quand on remonte vers le Nord : il y a plus de cas dans les pays scandinaves par exemple qu'en France et plus de cas en France qu'en Espagne. Et même en France, il y a 120 000 malades, avec aussi davantage de cas dans le Nord.

Est-ce qu'on en connaît la raison de ces disparités ?

Non, en fait c'est une maladie très complexe et due à un ensemble de facteurs qu'on connaît mal, à la fois génétiques, hormonaux, environnementaux.

Il n'y a pas de gène en cause, mais plutôt un terrain génétique. C'est-à-dire une combinaison de gènes qui induit une susceptibilité. À titre d'illustration : si chez des vrais jumeaux l'un est atteint, l'autre a 25 % de risque de développer la maladie.

Quels sont les traitements de la sclérose en plaques ?

Ce sont essentiellement les anti-inflammatoires et au cours des dernières années il y a eu de nouveaux médicaments qui sont arrivés. Ils sont efficaces pour réduire les symptômes et améliorer la qualité de vie, mais malheureusement ils n'arrêtent pas la destruction des neurones et la progression de la maladie.

Justement, est-ce qu'on connaît les mécanismes de la maladie ?

En partie : on l'a dit, c'est une maladie dans laquelle le système immunitaire attaque le système nerveux. Si on regarde de plus près, les cellules immunitaires attaquent la myéline, une sorte de gaine grasse qui entoure les prolongements des plus gros neurones. Elle sert à accélérer l'influx nerveux qui passe dans ces neurones.

Car ces cellules peuvent être très longues, leurs prolongements peuvent mesurer plus d'un mètre entre le cerveau et la moelle épinière. Et c'est grâce à la myéline qu'on peut avoir une commande quasi instantanée. Elle protège aussi le neurone. Cette gaine est attaquée dans la maladie et à l'IRM on voit des plaques, d'où le nom de sclérose « en plaques ».

Dans la forme rémittente de la maladie, à chaque poussée la myéline disparaît, mais elle a aussi une capacité de régénération. C'est ce qui explique en partie la récupération des patients. Mais quand elle finit par disparaître à force d'attaques, cela entraîne finalement la mort des neurones concernés.

Sur quoi travaille l'équipe de Maria Cecilia Angulo ?

Elle cherche à comprendre le processus de régénération qui permet à la myéline de se reconstituer autour des cellules nerveuses.

Son objectif est de trouver un moyen d'induire ce phénomène pour protéger les neurones et retarder l'apparition des symptômes de la sclérose en plaques.

Et comment font ces chercheurs ?

Ils étudient les relations très étroites qui existent entre les neurones et les cellules qui sont en contact avec eux, qui sont appelées les oligodendrocytes.

Pourquoi ? Ces cellules sont très importantes car à la fois elles apportent au neurone l'énergie nécessaire et elles fabriquent sa gaine de myéline. Ces oligodendrocytes sont vraiment des cellules passionnantes, car contrairement aux autres cellules cérébrales, elles sont renouvelées régulièrement, grâce à d'autre cellules, qu'on appelle des précurseurs. Ce phénomène participe à « l'entretien » de la myéline dans le système nerveux central sain.

On sait aussi que les neurones les plus actifs sont les plus myélinisés.

Autre chose, en cas de lésion de la myéline, les précurseurs sont attirés vers les lésions de la gaine de myéline, ils s'y multiplient et se transforment en oligodendrocytes qui fabriquent de la myéline.

L'équipe essaie donc d'exploiter ces propriétés pour stimuler la fabrication de la myéline chez les malades ?

Exactement !

L'équipe a déjà montré dans un modèle de laboratoire qu'une stimulation faible et régulière des neurones lésés permettait de recruter les précurseurs autour de la lésion, stimulait leur transformation en oligodendrocytes, qui reconstituaient la gaine de myéline autour des neurones.

Et ça marche même bien, puisque la conduction nerveuse est restaurée !

Maintenant, il faut pouvoir transférer ce résultat chez l'humain. Pour cela, l'équipe est en train de décortiquer les mécanismes moléculaires en cascade qui font le lien entre l'activation des neurones et la réparation de la myéline.

L'espoir à terme c'est de voir si une activité physique particulière peut stimuler cette réparation ou s'il est possible de trouver une molécule pour la stimuler.

Ces recherches sont vraiment porteuses d'espoirs pour les malades atteints de sclérose en plaques !