Regards croisés : qu’est-ce qui motive le refus vaccinal ?
27 novembre 2025


La pandémie de Covid-19 a mis en évidence la défiance d’une partie de la population à l’égard de la vaccination, allant parfois jusqu’au refus pur et simple. Or, pour construire une stratégie de santé publique efficace, il est essentiel de comprendre les freins qui sous-tendent cette résistance. Un professeur de médecine et un sociologue nous livrent leurs éclairages.

Dominique Grimaud
Professeur émérite en anesthésieréanimation à l’Université Côte d’Azur et praticien hospitalo-universitaire honoraire au CHU de Nice. Il consacre ses travaux aux questions de fin de vie, d’éthique médicale et aux enjeux contemporains des soins critiques.

Jérémy Ward
Sociologue et chargé de recherche à l’Inserm (Cermes3). Il codirige, avec Patrick Peretti-Watel, le projet ICOVAC-France, dédié à l’étude des attitudes vaccinales en France depuis la crise de Covid-19.

Dominique Grimaud
Ce phénomène de méfiance envers la vaccination, nourri de théories complotistes et de diverses craintes infondées, concerne environ 9 % de la population en France. Lorsqu’on en analyse les ressorts, on comprend qu’il s’agit moins d’arguments construits que d’un sentiment diffus, fait d’émotions, d’impressions, parfois d’inquiétudes existentielles.
Si ces motifs ne sont pas rationnels, cette défiance n’en est pas moins préoccupante pour la sécurité sanitaire et, au-delà, pour la cohésion citoyenne. La vaccination est en effet un paradigme moral de la solidarité, inscrit dans une logique de bien commun. Se détourner de la vaccination, c’est se désolidariser du collectif et affirmer la primauté du choix individuel sans se soucier des effets possibles sur les plus vulnérables. Il nous faut mieux expliquer, sans infantiliser ni stigmatiser, en quoi la vaccination protège de maladies. La polio ou la diphtérie semblent abstraites, car elles ont disparu grâce aux campagnes vaccinales ; cette disparition de la mémoire des épidémies a aussi fait oublier la notion de risque, réduisant ainsi la perception de l’utilité du vaccin.
Par ailleurs, la loi Kouchner de 2002 rappelle un principe fondamental : nul ne peut être soumis sans son consentement à un acte médical, y compris une vaccination. Travailler sur ce consentement libre et éclairé, c’est donc aussi un levier pour renforcer la réflexion scientifique, éthique et citoyenne.
Jérémy Ward
On considère souvent le refus vaccinal comme le produit d’un rejet de la méthode scientifique ou d’un manque de connaissance sur les vaccins. Nos travaux de recherche montrent qu’il est surtout le révélateur d’un rapport abîmé aux institutions, qui traduit souvent des inégalités sociales persistantes. Les populations les plus réticentes sont souvent les plus éloignées socialement et géographiquement du système de santé : zones rurales, quartiers populaires, jeunes adultes précaires… À cela s’ajoutent des différences de niveaux d’information et d’intérêt pour les questions de santé, qui peuvent se refléter dans les attitudes vaccinales et, plus généralement, dans la mobilisation contre les épidémies. Mais le facteur déterminant, c’est la défiance.
Le vaccin, en tant que tel, cristallise une méfiance plus large envers ceux qui l’ordonnent : politiques, experts, médias. Ce n’est pas tant la science qui est mise en cause que les institutions publiques derrière les politiques de santé, les recommandations officielles et la régulation des produits de santé. D’où l’échec de certains messages pourtant scientifiquement fondés. La pandémie de Covid-19 a agi comme un miroir grossissant : elle a révélé la distance qui s’est creusée entre une partie de la population et les institutions, dans un contexte déjà marqué par une crise de confiance démocratique. Pour lutter contre cette tendance, il ne suffit pas de corriger les fausses croyances, il faut imaginer des politiques vaccinales qui réparent aussi le lien social.
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