Recherche biomédicale : l’administration Trump ne pourra jamais museler la curiosité scientifique !
12 mai 2025


12 mai 2025
Crédits gelés, personnels scientifiques renvoyés, agences gouvernementales démantelées, … Du jour au lendemain, des pans entiers de la recherche scientifique américaine se retrouvent amputés ou dans l’incertitude, conséquence des décisions brutales de l’administration Trump. Dominique Costagliola, directrice de recherches émérite à l’Inserm, nous fait part de son point de vue sur les conséquences des décisions de l’administration Trump en matière de recherche biomédicale.
Dominique Costagliola est directrice de recherche émérite à l’Inserm, spécialiste d’épidémiologie et de biostatistiques. Son champ d’activité est celui des maladies infectieuses, en particulier le sida. Elle a été élue à l’Académie des Sciences en 2017 et a reçu le Grand Prix de l’Inserm en 2020.
Les décisions de l’administration Trump constituent une attaque inédite dirigée contre l’université et la recherche, particulièrement celle sur le climat, l’environnement et la recherche médicale ! Les National Institutes of Health (NIH), instituts qui hébergent à la fois des laboratoires de recherche et qui sont les principaux bailleurs de fonds de la recherche médicale aux États-Unis et dans le monde, ont annoncé des coupes budgétaires sévères. Plusieurs des instituts dépendant du NIH ont été visés, avec les licenciements massifs. En particulier le NIAID (National Institute of Allergy and Infectious Diseases), spécialisé dans les maladies infectieuses, un institut de renommée mondiale – avec qui je collabore étroitement –, dont la directrice et d’autres responsables ont été remerciés. Les recherches sur le sida notamment sont dans le viseur : des essais cliniques en cours ont été stoppés faute de financement, y compris l’inclusion de sujets dans des essais internationaux qui visaient à évaluer des stratégies innovantes de prévention. C’est un énorme gâchis !
Personnellement je participe à deux projets internationaux financés par les NIH, qui pour l’instant sont suspendus en attendant l’examen d’un rapport que doivent fournir les coordinateurs. Le couperet ? La présence de mots-clés bannis, tels que « = inclusion », « biais », etc. Or ces mots, en épidémiologie, sont incontournables pour décrire notre méthodologie de recherche. Et d’un point de vue sémantique ils sont utilisés dans un tout autre sens que celui visé par l’administration (qui touchent aux minorités, au genre, etc.). C’est donc parfaitement inepte !
Les NIH représentent de loin les premiers financeurs mondiaux de la recherche biomédicale, c’est dire l’ampleur de la catastrophe ! Les répercussions sont importantes sur différents plans, et en santé publique d’abord. Le service chargé de la surveillance des épidémies aux CDC (Centers for Disease Control and Prevention) a par exemple été fermé. Ce qui signifie aucune mesure organisée de vaccination contre l’épidémie de rougeole en cours au Texas, ou contre la grippe aviaire qui se répand, y compris au-delà des frontières. Les dégâts sont majeurs dans les pays à revenus limités, notamment du fait du démantèlement de l’USAid, qui apportait non seulement une aide financière sur de nombreux programmes d’aide, mais aussi sur les infrastructures sanitaires et de recherche. Les antirétroviraux pour les malades du sida, le suivi nécessaire par exemple ne sont désormais plus assurés dans de nombreux pays africains… Des millions de victimes sont annoncées. Sabrer la recherche d’aujourd’hui, c’est par ailleurs entamer la capacité d’innovation et retarder les traitements de demain.
Enfin, la formation des chercheurs, et donc la relève à terme est, elle aussi, gravement atteinte, car de très nombreux contrats doctoraux sont en suspens ou ont été annulés dans les universités.
En Europe, les financements de l’ERC (European Research Council), qui sont très conséquents mais très élitistes (avec un taux de sélection d’environ 10 %) pourraient permettre l’installation de nouveaux chercheurs. En France, certaines universités proposent d’accueillir des chercheurs américains. Malgré une intention louable, il faut reconnaître que les budgets français de la recherche, en baisse notable en 2024 et en 2025, ne pourront répondre de manière significative à ce défi. Nous sommes déjà confrontés à la difficulté de recrutement de nos jeunes chercheurs ! Cette situation n’est pas nouvelle et avec mes collègues scientifiques du mouvement Stand Up for Science France, nous nous élevons contre les coupes budgétaires qui atteignent la recherche en général. Le manque de connaissance scientifique des élites politiques y joue un rôle certain.
Comprendre la manière dont se fait la recherche, c’est comprendre que la recherche fondamentale prépare l’avenir, qu’on ne peut pas l’orienter de manière arbitraire car personne ne peut savoir quelle piste mènera dans 20 ou 30 ans à un traitement ! Il faut renforcer la culture scientifique dans notre société. Elle est essentielle pour faire des citoyens éclairés et lutter contre l’obscurantisme et la désinformation. Mon espoir ? Je dirais plutôt ma conviction : aucune mesure ne pourra museler la curiosité scientifique ! Le désir de comprendre le monde a toujours existé et en dépit de toutes les vicissitudes, il y aura toujours des chercheurs en quête de vérité !
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