Maladie d'Alzheimer : coupler médicament et lumière pour rétablir le rythme du cerveau
16 septembre 2024
16 septembre 2024
La chronique de rentrée de Thierry Lhermitte, parrain de la FRM, est consacrée à un projet très ambitieux sur la maladie d’Alzheimer, dont la journée mondiale a lieu, chaque année, le 21 septembre.
Ce projet, soutenu par la Fondation pour la Recherche Médicale et son mécène, CNP Assurances, est né de la collaboration de 3 équipes. Le porteur du projet est Laurent Givalois, chargé de recherche au CNRS dans le laboratoire « Mécanismes Moléculaires dans les Démences Neurodégénératives » (MMDN) à Montpellier.
Retrouvez ci-dessous cette chronique diffusée le lundi 16 septembre dans l'émission « Grand Bien Vous Fasse ! » sur France Inter, à (ré)écouter en replay.
Ce projet, soutenu par la Fondation pour la Recherche Médicale et son mécène, CNP Assurances, est né de la collaboration de 3 équipes : le porteur de projet, Laurent Givalois, est chargé de recherche au CNRS dans le laboratoire « Mécanismes Moléculaires dans les Démences Neurodégénératives » (MMDN) à Montpellier. Il collabore avec l’équipe de Cyril Goudet, directeur de recherche au CNRS à l’Institut de génomique fonctionnelle à Montpellier également, et avec une équipe de chimistes de Barcelone, menée par Amadeu Llebaria.
Thierry Lhermitte : La maladie d'Alzheimer est une maladie neurodégénérative, ce qui signifie que les cellules nerveuses de notre cerveau, les neurones, meurent progressivement.
Les symptômes arrivent le plus souvent au-delà de 65 ans : une perte de la mémoire, puis avec l’évolution de la maladie, d’autres problèmes cognitifs apparaissent (troubles de l’orientation, de la parole, etc.) et le malade devient de plus en plus dépendant.
Aujourd’hui, un nouveau cas est diagnostiqué toutes les 3 secondes dans le monde ! En France, on compte 900 000 patients, mais sans avancée thérapeutique, ce chiffre pourrait bien être doublé d’ici 2050 .
Il n’existe pas de traitement curatif. De nouveaux traitements ont été autorisés l’année dernière aux États-Unis, mais ils ne peuvent pas être donnés à tout le monde du fait des risques d’effets secondaires qu’ils présentent. La recherche est donc plus que jamais nécessaire pour trouver de nouvelles solutions thérapeutiques !
Le projet de Laurent Givalois
Thierry Lhermitte : Ce projet repose sur une approche très innovante, à la fois conceptuellement et du point de vue de la technique.
Les neurones communiquent entre eux par un signal électrique qui se propage à une vitesse plus ou moins grande. À chaque tâche ou émotion, ou pendant le sommeil, des groupes de neurones fonctionnent ensemble : ils se synchronisent.
Quand on mesure l’activité cérébrale par un électro-encéphalogramme, on visualise cette activité électrique par des ondes, comparables à des vagues. Elles varient en fonction de ce que fait le cerveau : il y a des ondes lentes et amples, comme les ondes delta ou les thêta, qu’on observe pendant le sommeil, il y a des ondes plus rapides et de plus faible amplitude, comme les ondes gamma. Les ondes thêta interviennent notamment pendant le sommeil paradoxal, le moment où l'on consolide sa mémoire.
De plus, ces différents types d’ondes fonctionnent aussi de manière couplée : certaines s’associent en se synchronisant, comme deux vagues qui n’en forment plus qu’une. Ces fameuses ondes thêta, par exemple, sont couplées avec les ondes gamma. Et ce couplage est important pour la mémorisation.
Dans la maladie d’Alzheimer, on sait depuis quelques années que celle-ci se traduit par des anomalies de l’activité électrique du cerveau. Chez les malades, on observe non seulement une altération de l’amplitude de toutes les ondes électriques, mais aussi notamment un découplage des ondes gamma et thêta… Ce couplage impliqué dans la mémoire.
Restaurer une activité électrique normale dans le cerveau des patients
Thierry Lhermitte : L'objectif du projet de Laurent Givalois est en effet de restaurer le couplage des ondes thêta et gamma.
L’équipe ne partait pas de rien : d’autres équipes dans le monde ont montré qu’en rétablissant ce couplage, on améliorait les déficits de mémoire observés chez des souris qui miment la maladie d’Alzheimer.
Mais la technique est difficilement transposable chez l’humain, d’où ce projet inédit.
Simplifié à l'extrême : le principe est de jouer sur un récepteur particulier, qui s’appelle mGlu5. C’est une protéine qui est insérée dans la membrane des neurones et qui intervient dans la transmission du signal électrique entre neurones. Ce récepteur mGlu5 est activé et désactivé selon certaines fréquences, et c’est ce qui génère les ondes électriques.
L’idée de Laurent Givalois et d’une jeune chercheuse qui travaille avec lui, Charleine Zussy, est d’essayer de reproduire ce fonctionnement « alternatif » du mGlu5 dans des souris qui miment la maladie d’Alzheimer. Ils espèrent ainsi restaurer une activité électrique correcte et améliorer les marqueurs de la maladie (la mémoire, etc.).
L’équipe a utilisé la photopharmacologie ; c’est une technique révolutionnaire qui permet d’activer et de désactiver une molécule thérapeutique par des flash lumineux.
Une molécule a été synthétisée par l’équipe de chimistes de Barcelone. Elle s’appelle Alloswitch-1. Quand elle se fixe sur le récepteur mGlu5, elle le désactive et cela empêche le neurone de transmettre le signal électrique.
Mais quand on envoie un flash de lumière violette sur cette molécule Alloswitch-1, elle change de forme et n’agit plus sur le récepteur mGlu5. Cela rétablit le passage du signal électrique. Quand on envoie un flash de lumière verte, Alloswitch-1 revient dans sa forme d’origine : elle agit à nouveau sur le récepteur mGlu5 et bloque le signal électrique.
Il fallait ensuite pouvoir envoyer cette molécule dans l’hippocampe, le siège de la mémoire, où débute la maladie d’Alzheimer.
Avec l’aide d’une société canadienne, l’équipe a mis au point un dispositif très ingénieux : il permet à la fois d’injecter la molécule thérapeutique Alloswitch-1 dans l’hippocampe, chez des souris qui miment la maladie d’Alzheimer, et en même temps il comporte une fibre optique pour faire des flashs de lumière verte et violette, mais aussi 2 mini-électrodes pour mesurer les ondes électriques cérébrales.
L’équipe est ainsi parvenue à restaurer le couplage des ondes gamma et thêta, c’est-à-dire qu’elles se remettent à fonctionner ensemble : la mémoire de travail est restaurée (c’est la forme de mémoire qui est évaluée par le test d’exploration d’un labyrinthe). Il y a aussi une diminution des marqueurs biologiques de la maladie dans l’hippocampe : la formation des agrégats de protéines toxiques caractéristiques de la maladie (le peptide bêta-amyloïde et la protéine tau anormale), et l’inflammation également.
Pour résumer, cette approche a énormément d’avantages. En particulier : cibler très précisément la zone à traiter grâce à la lumière ; et elle permet de diminuer la dose du médicament, donc les effets secondaires, mais également d’éviter la perte d’efficacité dans le cas de traitement chronique.
L’équipe travaille maintenant sur le développement d’une nouvelle molécule optimisée, pour remplacer Alloswith-1. Notamment pour que l’on puisse l’administrer en périphérie (via la circulation sanguine par exemple) de manière à alléger le protocole et éviter l’injection dans le cerveau (même si cela est fait pour certaines maladies).
Un dépôt de brevet est en cours et la FRM a apporté un nouveau financement pour le développement de cette molécule et les tests qui seront nécessaires.
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