L’origine même de la maladie est encore inconnue à ce jour mais des avancées considérables ont été réalisées au cours des dernières décennies, dans la compréhension des mécanismes moléculaires en jeu ainsi que dans la progression des lésions au cœur du cerveau. Les découvertes les plus récentes bouleversent la vision conceptuelle de la maladie, laissant entrevoir de nouvelles stratégies thérapeutiques.

Mécanismes moléculaires : la théorie de la « cascade amyloïde »

Deux types de lésions sont observés dans le cerveau des malades :

  • des plaques amyloïdes, ou plaques séniles : elles sont constituées d’agrégats de peptide bêta-amyloïde entre les neurones ;
  • une dégénérescence neurofibrillaire : c’est l’accumulation, sous forme de fibres, à l’intérieur des neurones, d’une autre protéine sous forme anormale, la protéine Tau.

L’hypothèse qui prévaut actuellement est celle de la « cascade amyloïde » : elle suppose que les différents facteurs de risque – âge, génétique, environnement – se superposent pour entraîner la formation de plaques amyloïdes. Celles-ci, par une succession de réactions, notamment inflammatoires, activent de manière anormale les protéines Tau, qui à leur tour s’accumulent, altérant la communication entre les neurones et entraînent leur dégénérescence et leur mort. Ces lésions sont présentes de nombreuses années avant l’apparition des symptômes de la maladie : une quinzaine d’années pour les plaques amyloïdes et une dizaine d’années pour la protéine Tau.

Néanmoins, cette théorie n’explique que partiellement la maladie. Des études génétiques ont récemment identifié d’autres mécanismes ou fonctions qui seraient également impliqués dans son développement (métabolismes lipidique et glucidique, immunité innée…). De même, comme vous le verrez plus bas, des recherches ont montré qu’il pourrait y avoir un impact de l’inflammation dans le développement de la maladie.

Les lésions cérébrales sont présentes de nombreuses années avant l'apparition des symptômes.

Des avancées qui relancent le questionnement sur les origines de la maladie

Les scientifiques débattent encore des mécanismes à l’origine de la maladie et les avancées ne sont pas de nature à arrêter la controverse. En voici quelques exemples.

  • La diminution de l’apport sanguin cérébral
    Une étude canadienne 1, publiée en juin 2016, montre que le premier signe physiologique de la maladie est une diminution de l’apport de sang au cerveau, avant même l’augmentation des peptides amyloïdes. Jusqu’alors les premières anomalies détectées étaient les plaques amyloïdes. Début 2019, une autre étude a montré que la diminution du débit sanguin cérébral pouvait aussi influencer le développement de la maladie d’Alzheimer au sein d’un modèle animal 2.
    Ces découvertes vont dans le sens des préconisations sur la bonne santé vasculaire cérébrale pour prévenir l’apparition des signes de démence.

  • Protéine Tau anormale : la genèse de la maladie ?
    Une étude américaine 3, publiée en mai 2016, a révélé, pour la première fois grâce à une technique d’imagerie cérébrale que l’accumulation de protéine Tau dans le cerveau est directement associée à l’apparition des symptômes de la maladie d’Alzheimer, ce qui n’est pas le cas des plaques amyloïdes.
    D'autres travaux, publiés en juillet 2018, ont montré pour la première fois comment la protéine Tau pourrait être à l’origine de la maladie : le contact d’une protéine Tau de forme normale avec une protéine Tau de forme anormale engendrerait sa conversion dans une forme anormale. Ces anomalies de forme de la protéine Tau se propageraient de proche en proche. Un véritable problème, car la forme anormale favoriserait l’accumulation de la protéine Tau en fibres, toxiques pour les neurones 4. Grâce aux avancées technologiques des dernières années, les chercheurs recueillent de plus en plus de preuves confortant cette hypothèse d’une protéine Tau qui se comporterait ainsi comme une protéine « prion ».

  • Quel effet de l’inflammation cérébrale ?
    Dans une étude publiée en mars 2016 5, une équipe française a suivi la réaction inflammatoire des cellules immunitaires qui se produit autour des plaques amyloïdes. Elle en conclut que cette inflammation, qui apparaît précocement, avant les premiers signes de la maladie, joue un rôle protecteur sur son apparition. En revanche, cette étude n'exclut pas que cette inflammation puisse être néfaste dans des stades plus avancés de la maladie.
    D’autres travaux ont depuis mis en évidence un lien entre inflammation et maladie d’Alzheimer. Cette piste de la neuro-inflammation prend de l’importance car des marqueurs de l’inflammation sont retrouvés dans le sang. Les chercheurs pensent ainsi qu’elle pourrait influencer le décours de la pathologie, et ce sujet fait l’objet de nombreuses investigations.

  • Le peptide bêta-amyloïde, mécanisme de défense du cerveau ?
    Une étude américaine de mai 2016 6 a attiré l’attention sur une nouvelle hypothèse concernant le peptide bêta-amyloïde : il pourrait avoir un rôle jusqu’alors inconnu, en faisant partie des mécanismes immunitaires innés, la première ligne de défense de l’organisme contre une infection. Les chercheurs montrent en effet son action antimicrobienne dans le cerveau d’animaux infectés par une bactérie et in vitro sur des cellules humaines.
    En 2018, une équipe américaine a montré chez la souris que les peptides bêta-amyloïdes étaient capables de « piéger » les virus de l’herpès dans le cerveau. Cela conférait à l’animal une protection contre l’inflammation cérébrale susceptible d’être provoquée par les virus. Mais, paradoxalement, l’infection accélère aussi le dépôt des peptides et pourrait jouer un rôle dans le développement de la maladie d’Alzheimer 7.

  • Virus de l’herpès et maladie d’Alzheimer
    Les relations entre infection par le virus de l’herpès et maladie d’Alzheimer ont par ailleurs fait l’objet d’une étude publiée en 2020. Elle démontre que, parmi les personnes porteuses d’une mutation particulière connue pour augmenter le risque de maladie d’Alzheimer, celles présentant en plus des réactivations fréquentes du virus de l’herpès HSV1 ont trois à quatre fois plus de risque de développer une maladie d’Alzheimer 8. Les raisons de ce lien sont actuellement recherchées, mais cette étude ouvre de nouvelles perspectives sur les origines de la maladie.

  • Un gène à l’origine de la maladie chez les personnes de plus de 65 ans
    En mai 2018, une équipe canadienne a fait une découverte inattendue : l’inactivation d’un gène, appelé BMI1, pourrait être en cause dans le déclenchement de la forme de la maladie d’Alzheimer la plus fréquente, de survenue tardive. Ainsi, restaurer l’activité de ce gène pourrait constituer une approche thérapeutique intéressante dans la pathologie 9.
    Une étude canadienne parue en 2021, a également montré que le gène BMI1 pourrait protéger de la maladie d’Alzheimer en empêchant, entre autres, une désorganisation de l’ADN observée chez les patients qui perturbe l’expression des gènes dans les neurones 10.

  • Une production d’énergie altérée dans les cellules nerveuses cérébrales
    Des études de décembre 2017 11  et janvier 201812ont établi qu’avant même l’apparition des premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer, le fonctionnement des mitochondries, les usines énergétiques de la cellule, est perturbé dans les neurones. Les chercheurs font l’hypothèse que ce déclin énergétique entraîne une cascade moléculaire qui conduit à la maladie. Cette altération de la production énergétique serait amplifiée en présence du peptide bêta-amyloïde. Il s’agit d’une nouvelle piste dans la compréhension de la pathologie, qui est actuellement explorée par les chercheurs.

  • Une accumulation de mitochondries problématique
    Les chercheurs ont également montré en 2019 un autre impact des mitochondries dans la maladie d’Alzheimer, différent des études précédemment citées. Lors de la pathologie, le processus de destruction des mitochondries dysfonctionnelles, la mitophagie, est altérée : les mitochondries s’accumulent alors dans les neurones. L’étude 13 a aussi démontré que rétablir une mitophagie normale au sein d’un modèle animal de la maladie améliore les symptômes, ce qui constitue une piste de recherche intéressante.

  • Maladie d’Alzheimer, une nouvelle forme de diabète ?
    Une étude menée par des chercheurs français a montré en juin 2017 14 que la protéine Tau, essentielle pour le maintien de la structure des neurones, serait impliquée dans la réponse à l’insuline dans le cerveau. Cette réponse est indispensable à la bonne régulation de l’utilisation du glucose par les neurones. Ainsi, la protéine Tau anormale induirait chez les malades une résistance à l’insuline dans le cerveau, similaire à ce qui est observé dans le diabète de type 2 au niveau des tissus du corps. La recherche se poursuit pour comprendre ce mécanisme qui pourrait mener à de nouvelles approches thérapeutiques.

  • Un dysfonctionnement des connexions dans le cerveau
    Début 2018, une étude franco-canadienne a conclu que, contrairement au paradigme actuel qui veut que la maladie d’Alzheimer soit la conséquence d’une perte de neurones et des connexions entre ces neurones, la pathologie serait plutôt le résultat d’un dysfonctionnement de ces connexions 15. Si elle se confirme, cette hypothèse pourrait remettre en cause les approches thérapeutiques de la maladie, qui visent le plus souvent à stopper la perte des connexions et non à améliorer leur fonctionnement.

  • Des changements dans d’autres cellules cérébrales que les neurones
    Au cours des dernières années, les chercheurs ont découvert qu’en dehors des neurones qui meurent, d’autres cellules cérébrales sont modifiées dans la maladie d’Alzheimer. Et en particulier les astrocytes, des cellules voisines des neurones, qui ont un rôle dans leur formation, leur maturation, leur fonctionnement, et même leur métabolisme. Or durant la maladie, ces astrocytes subissent des changements morphologiques, mais aussi de nombreuses modifications dans l’expression de leurs gènes. Ils ne régulent alors plus les neurones de la même manière ; on dit qu’ils deviennent « réactifs ». Des expériences chez des souris montrent que diminuer l’état réactif de ces astrocytes chez des souris modèles de la maladie d’Alzheimer permet notamment de restaurer l’apprentissage défaillant et de réduire leur anxiété. Ces résultats suggèrent que la modulation des astrocytes pourrait être une piste pour tenter de conserver un bon fonctionnement des neurones.

  • Un déficit métabolique impliqué dans les troubles de la mémoire ?
    Des chercheurs français ont mis en évidence en 2020 16 qu’un déficit du métabolisme pourrait être impliqué dans les troubles de la mémoire spécifiques de la maladie d’Alzheimer. Les chercheurs ont montré dans un modèle animal que lors de la pathologie, les cellules nourricières des neurones diminuent leur synthèse d’un acide aminé spécifique, la L-sérine. Cette fabrication anormale provient d’une altération de l’utilisation du glucose. Cette baisse de production de L-sérine entrainerait une diminution de la mémorisation et de la plasticité neuronale. Ce processus était restauré lorsque l’on apportait à l’animal de la L-sérine par l’alimentation. Cette étude ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques dans la maladie.

Lésions : une progression qui suit les connexions cérébrales

Les premières lésions de la maladie d’Alzheimer apparaissent presque toujours dans l’hippocampe, une zone bien précise au cœur du cerveau, avant de diffuser progressivement en direction des zones externes en suivant les connexions établies entre les différentes régions. Cette progression, très lente,  explique les troubles successifs qui apparaissent au fur et à mesure de l’évolution pathologique :

  • Atteinte de l’hippocampe, la zone impliquée dans les processus de mémorisation (enregistrement, restitution et organisation des souvenirs).
  • Extension au système limbique (auquel appartient l’hippocampe), un ensemble de structures cérébrales interconnectées qui gèrent les émotions et les liens entre souvenirs et comportements. Le système limbique régule aussi le sommeil et l’appétit.
  • Atteinte du cortex, l’enveloppe externe du cerveau, qui commande les fonctions cognitives supérieures :
    • Le cortex pariétal, qui intervient dans la maîtrise de l’espace et le contrôle des gestes ;
    • La zone temporale du cortex, impliquée dans le langage et la mémoire ;
    • La zone frontale, qui contrôle des fonctions exécutives : raisonner, organiser, planifier, s’adapter à la situation.

A noter, en octobre 2021, une équipe de chercheurs britanniques est parvenue à déterminer la vitesse de multiplication des agrégats cérébraux de protéine Tau : ils ont estimé à 5 ans le temps nécessaire au doublement de leur quantité dans le cerveau 17.

Progression de la maladie d'Alzheimer

Pour en savoir plus

Conférence 5 à 7 de l’Institut Pasteur de Lille, « Maladie d’Alzheimer : avancées et recherches » par Jean-Charles Lambert, le 23 septembre 2020.

La semaine du cerveau, conférence « Maladie d’Alzheimer : quelles actualités sur la recherche ? » par Nicolas Sergeant, le 7 juin 2021.

#references

Références

  1. Iturria-Medina Y et al. Early role of vascular dysregulation on late-onset Alzheimer’s disease based on multifactorial data-driven analysis. Nature Communications 2016
  2. Communiqué de presse CNRS ; Jean C. Cruz Hernandez et al. Neutrophil adhesion in brain capillaries contributes to cortical blood flow decreases and impaired memory function in mouse models of Alzheimer’s disease. Nature Neuroscience, le 11 février 2019
  3. Brier MR et al. Tau and Aß imaging, CSF measures, and cognition in Alzheimer’s disease. Sci Transl Med 2016 ; 8 : 338ra66
  4. Mirbaha H et al. Inert and seed-competent tau monomers suggest structural origins of aggregation. eLife 2018 ;7:e36584 DOI: 10.7554/eLife.36584
  5. Hamelin L et al. Early and protective microglial activation in Alzheimer’s disease: a prospective study using 18F-DPA-714 PET imaging. Brain 2016
  6. Kumar DKV. Amyloid-peptide protects against microbial infection in mouse and worm models of Alzheimers disease. Science Translational Medicine 2016 ; 8: 340ra72
  7. Eimer WA et al. Alzheimer’s Disease-Associated ß-Amyloid Is Rapidly Seeded by Herpesviridae to Protect against Brain Infection. Neuron 2018 ; 99: 56-63
  8. Linard M et coll. Interaction between APOE4 and herpes simplex virus type 1 in Alzheimer's disease. Alzheimer et Dementia 2020 ; article de la FRM
  9. Flamier A et al. Modeling Late-Onset Sporadic Alzheimer's Disease through BMI1 Deficiency. Cell reports 2018 ; 29: 2653-66
  10. Hanna R et al. G-quadruplexes originating from evolutionary conserved L1 elements interfere with neuronal gene expression in Alzheimer’s disease. Nature Communications volume 12 ; 2021
  11. Sorrentino V et al. Enhancing mitochondrial proteostasis reduces amyloid-ß proteotoxicity. Nature 2017 ; 552: 187-93.
  12. Mastroeni D et al. Oligomeric amyloid ß preferentially targets neuronal and not glial mitochondrial-encoded mRNAs. Alzheimer’s & Dementia 2018 ; 14: 775-86.
  13. Fang EF et al. Mitophagy inhibits amyloid-β and tau pathology and reverses cognitive deficits in models of Alzheimer’s disease. Nat Neurosci 2019 ; 22: 401–412
  14. Marciniak E et al. Tau deletion promotes brain insulin resistance. Journal of Experimental Medicine 2017 ; 214: 2257-69
  15. Poiret O et al. Moderate decline in select synaptic markers in the prefrontal cortex (BA9) of patients with Alzheimer’s disease at various cognitive stages. Scientific Reports 2018 ; 8: 938. DOI:10.1038/s41598-018-19154-y
  16. Communiqué de presse Inserm ; Le Douce J et al. Impairment of Glycolysis-Derived L-Serine Production in Astrocytes Contributes to Cognitive Deficits in Alzheimer’s Disease. Cell Metabolism 2020 ; 33: 503-517
  17. Meisl G. et al. In vivo rate-determining steps of tau seed accumulation in Alzheimer’s disease. Science Advances Vol 7, Issue 44, 29 Oct 2021. DOI: 10.1126/sciadv.abh1448
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