Bienvenue dans le monde de la chirurgie augmentée

16 décembre 2019

Grâce à l'imagerie en temps réel, à la reconstruction d'images en 3D et aux outils de réalité augmentée, l'Institut de chirurgie guidée par l'image de Strasbourg, véritable temple de la recherche en chirurgie dans le monde, invente la chirurgie de demain.

Plus précise et moins invasive, elle sera aussi personnalisable en fonction de l'anatomie de chacun.

Des clones virtuels des patients

« Le chirurgien a toujours eu besoin d'images pour préparer son intervention en amont et juger ensuite des résultats », rappelle le Pr Jacques Marescaux. Radiographie, scanner et IRM sont indispensables avant tout geste chirurgical. Seulement voilà : ils fournissent des images en 2D.

« C'est bien souvent au chirurgien de reconstruire mentalement l'organe en trois dimensions, pour visualiser précisément le volume d'une tumeur à enlever par exemple », commente le chirurgien.

C'est pour contourner cette difficulté que les équipes du Pr Marescaux travaillent depuis une vingtaine d'années maintenant à la modélisation en 3D de l'anatomie des patients. À partir de plusieurs centaines d'images issues d'IRM ou de scanner, des programmes informatiques créent des « clones virtuels » des organes du patient. Visibles sur un écran d'ordinateur ou de tablette, ces modèles 3D uniques pour chaque patient peuvent être manipulés, décortiqués et permettent de simuler les conséquences des gestes chirurgicaux.

Des images en temps réel

L'autre défi, c'est de pouvoir disposer d'images en temps réel au cours de l'opération. « Depuis plusieurs années déjà, certaines opérations sont assistées par échographie ou radiographie, ce qui permet au chirurgien de vérifier ses gestes au fur et à mesure de l'opération », explique le Pr Marescaux. C'est notamment le cas en cardiologie interventionnelle (voir dossier p. 20-28). À l'Institut de chirurgie guidée par l'image (institut hospitalouniversitaire) de Strasbourg, on va beaucoup plus loin : un bloc opératoire unique au monde rassemble sur place toutes les techniques d'imagerie médicale existantes !

Objectif de ce lieu de recherche inédit : disposer d'images 3D en temps réel des organes, et les projeter sur un écran ou des lunettes en surimpression avec ce que voit le chirurgien lorsqu'il opère. C'est ce que l'on appelle la chirurgie augmentée.

Une chirurgie plus précise et moins invasive

Grâce à ces différentes techniques (modèles 3D, imagerie en temps réel, réalité augmentée) intégrées au bloc opératoire, les patients deviennent comme « transparents », avec leurs organes bien visibles. « Les neurochirurgiens ont été les pionniers de ces techniques, rappelle le Pr Marescaux_. Elles permettent un geste beaucoup plus précis, et donc moins mutilant, moins invasif. Sans compter que l'imagerie intégrée au bloc permet aussi de s'adapter à l'anatomie de chaque patient, et donc d'aller vers une chirurgie de plus en plus personnalisée._ »

Aujourd'hui, la technologie est au point. Grâce aux progrès des appareils d'imagerie médicale et aux ordinateurs de plus en plus puissants, il est par exemple possible de superposer précisément le modèle 3D obtenu avant l'opération avec les images des organes du patient lorsqu'il est allongé sur la table d'opération.

Un moyen d'apporter des informations supplémentaires au chirurgien.

Les défis restant à relever

« Lorsque l'on opère un cerveau ou des os, c'est relativement facile car ce sont des structures statiques. Dans l'abdomen, par exemple, c'est plus compliqué car il faut prendre en compte les mouvements liés à la respiration », explique le chirurgien.

L'un des défis actuels des chirurgiens-chercheurs est donc d'obtenir des images très précises malgré les mouvements du corps, ou l'évolution du positionnement des organes au fur et à mesure de l'opération. Autre enjeu, celui de la chirurgie mini-invasive : « Dans ce cas, l'abdomen est gonflé de gaz, ce qui bouleverse complètement l'anatomie. »

Par ailleurs, les techniques actuelles d'imagerie ne permettent pas toujours de visualiser précisément les nerfs. Des études sont en cours pour pallier ce manque (voir encadré). Enfin, « la prochaine étape sera de coupler ces systèmes de chirurgie augmentée avec des robots afin d'automatiser certaines procédures chirurgicales », estime le Pr Marescaux.

Épargner les nerfs

Lors d'une opération au niveau du bassin, il est crucial de faire très attention aux nerfs car des lésions peuvent avoir des conséquences majeures sur les fonctions digestives ou génitales du patient. Or l'emplacement précis des voies nerveuses dans le bassin peut varier d'une personne à l'autre. Lorsqu'il s'agit d'un enfant, l'exercice est encore plus périlleux pour le chirurgien.

Au laboratoire de traitement et communication de l'information de Télécom Paris, l'équipe de Talel Abdessalem travaille donc à la mise au point d'un programme informatique de reconstruction en images 3D d'un bassin d'enfant avec ses nerfs pelviens. Les chercheurs souhaitent ensuite constituer une banque d'images d'anatomie pelvienne de jeunes enfants opérés pour des tumeurs ou des malformations, et rendre plus automatique la production d'images 3D à partir d'IRM pour n'importe quel enfant.

Objectif : fournir aux chirurgiens des images 3D de leurs patients pour qu'ils puissent choisir en amont la meilleure stratégie opératoire, mais aussi les utiliser pendant l'opération, via la réalité augmentée, pour guider leurs gestes et épargner le plus possible les voies nerveuses.

Actualité issue du magazine trimestriel de la FRM Recherche & Santé 160

- AVEC LE PR JACQUES MARESCAUX Chirurgien digestif, directeur général de l'Institut de chirurgie guidée par l'Image et président fondateur de l'Institut de recherche contre les cancers de l'appareil digestif (IRCAD), à Strasbourg.

Lexique

*Scanner : technique d'imagerie utilisant les rayons x et permettant de visualiser les organes en coupe.

*Irm : technique d'imagerie utilisant les propriétés de résonance magnétique nucléaire. Cet examen permet de visualiser avec une grande précision les organes et tissus mous dans différents plans de l'espace ou en 3 dimensions.

*Échographie : technique d'imagerie employant des ultrasons.

*Réalité augmentée : superposition de la réalité et de sons ou visuels fournis en temps réel par un système informatique.

*Chirurgie mini-invasive : au lieu de réaliser une grande incision, le chirurgien atteint l'organe à opérer en introduisant ses outils et un système d'imagerie vidéo par de toutes petites incisions. On parle aussi de chirurgie par voie endoscopique.