Étudier les mécanismes moléculaires qui mènent à la schizophrénie

19 octobre 2021

A l'occasion de la première Semaine de la Recherche en Santé Mentale que la FRM a organisée du 11 au 15 octobre 2021, le parrain de la FRM Thierry Lhermitte s'est rendu à l'Institut de Psychiatrie et Neurosciences de Paris pour visiter le laboratoire de Thierry Galli et y rencontrer l'équipe de David Tareste, qui travaille sur les mécanismes moléculaires à l'origine de la schizophrénie.

Sa visite a fait l'objet de sa chronique du mois d'octobre dans l'émission Grand Bien Vous Fasse sur France Inter, à (ré)écouter par ici :

On utilise le terme de « schizophrène » à tort et à travers aujourd'hui, mais la schizophrénie, c'est une vraie maladie ?

En effet, la racine grecque veut dire « fractionnement de la pensée ». C'est bien une maladie psychiatrique · En fait on parle aujourd'hui de troubles du spectre schizophrénique car certaines formes de la maladie sont proches d'autres maladies mentales comme l'autisme ou la bipolarité.

Quels sont les symptômes ?

Il y a 3 types de symptômes, pas toujours faciles à percevoir au début :

  • des troubles cognitifs : troubles de l'attention, de la mémoire de travail, de la planification ;
  • des symptômes dits « négatifs », qui sont des déficits : la perte de motivation, le retrait sur soi, la diminution des relations sociales ;
  • et, sûrement les plus connus, des symptômes dits « positifs » : des hallucinations (auditives, visuelles), des délires (qui sont dus à une mauvaise interprétation de ce qui se passe). C'est ce que les psychiatres appellent la psychose.

Là, ça évoque tout de suite le film d'Hitchcock dédoublement de personnalité, agressivité, etc.**Oui et c'est bien ça le problème, ça fait peur ! Alors que les malades sont plutôt dangereux pour eux-mêmes, puisque 1 patient sur 2 fait une tentative de suicide en moyenne. Il faut aussi savoir qu'il y a 15 000 nouveaux cas par an en France, ça en fait donc une maladie assez fréquente· En tout 600 000 personnes sont touchées par la schizophrénie, à différents degrés.

À quoi elle est due ? Comme souvent, c'est une maladie complexe, avec une vulnérabilité individuelle et des facteurs de risque liés à l'environnement. Ceux qui sont bien connus sont le stress et, surtout, la consommation régulière de cannabis à l'adolescence, qui double le risque de développer une schizophrénie. Il faut dire qu'entre 10 et 25 ans le cerveau est dans sa fenêtre de maturation.

La maladie apparaît justement dans cette tranche d'âge je crois ?

Oui, durant cette période critique pour le cerveau. Et c'est aussi pour ça qu'elle est difficile à diagnostiquer, car les premiers symptômes sont subtils et peuvent se confondre avec la crise de l'adolescence· Ce qui doit alerter : c'est l'impression d'avoir des commentaires dans la tête, de ne pas bien contrôler ses pensées, de ne plus se sentir de la même manière dans son corps, de ne plus bien distinguer le soi du non-soi Bref, c'est une perception perturbée de la réalité. Une sensation difficile à exprimer en fait, et avec souvent une anxiété très présente.

Et là il faut consulter ?

Oui, en psychiatrie et le plus tôt possible, sans attendre le décrochage scolaire. Plus on prend la maladie tôt, meilleures sont les chances qu'elle ne s'installe pas. Parce qu'il faut absolument passer le message : la schizophrénie ça se soigne, on peut retrouver une vie normale ! La prise en charge du malade est globale, avec de la remédiation cognitive, l'apprentissage de la gestion du stress, une bonne hygiène de vie (le sommeil et l'activité physique sont très importants). En plus, bien sûr, il y a les médicaments, des antipsychotiques. On en teste un premier et si ça ne marche pas on tente un deuxième. Si ça ne stabilise toujours pas le malade on dit alors qu'il est résistant. C'est le cas d'environ 30 % des patients.

Et dans ce cas que fait-on ?

On utilise un autre antipsychotique, la clozapine. Il est très efficace mais a plus d'effets secondaires. Au final, il existe quand même 10 % de patients qui n'y répondent pas, ce sont les ultrarésistants.

Bon, on comprend qu'on a encore des progrès à faire ! Ça nous amène donc au projet de recherche de l'équipe de David Tareste.

Exactement. Il veut comprendre pourquoi les antipsychotiques n'ont pas tous le même effet sur les patients. Le projet de doctorat d'Hugo Fumat vise à étudier les mécanismes moléculaires qui mènent à la schizophrénie. On sait déjà que dans le cerveau des patients il y a des anomalies de la transmission d'un messager chimique, la dopamine. C'est une des molécules de communication du cerveau. Dans la maladie certaines régions en ont trop, d'autres pas assez. · Mais ces problèmes de dopamine seraient peut-être dus à autre chose. L'équipe a en effet montré que certains patients avaient un problème dans la composition des membranes de leurs cellules, et en particulier les neurones, les cellules nerveuses. Ils ont une diminution de certains lipides (des graisses).

Mais quel peut être le rapport avec la schizophrénie ?

L'hypothèse de David Tareste, c'est que la modification des lipides dans les membranes des neurones empêche une bonne communication entre eux. Pourquoi ? Il faut comprendre leur fonctionnement. Les neurones communiquent en échangeant des molécules chimiques, comme la dopamine. Ces échanges se font à des endroits particuliers où les neurones se connectent entre eux. À cet endroit les membranes des deux neurones connectés sont très proches· Le messager chimique, à l'intérieur du premier neurone, est contenu dans des vésicules. Pour l'envoyer vers le deuxième neurone, les vésicules doivent fusionner avec la membrane du premier neurone pour expulser leur contenu dans l'espace entre les deux cellules. Une fois là, le messager chimique est capturé par des récepteurs présents sur le deuxième neurone, qui va ainsi traiter le signal reçu.

Que fait Hugo Fumat pour comprendre le rôle des anomalies de lipides dans la membrane des neurones ?

Il étudie les phénomènes à plusieurs échelles : de la molécule au patient ! Il essaie d'abord de comprendre le rôle de la composition en lipides des membranes sur leur fusion. Pour cela, il fabrique des vésicules artificielles avec des membranes qui ont différentes compositions en lipides. Il observe en spectroscopie de fluorescence / in vitro comment cette composition influe sur leur fusion. Il travaille aussi en microscopie sur des cellules en culture qui reproduisent l'expulsion des vésicules. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'il peut observer tous ces processus grâce à l'un des très rares microscopes à super-résolution en 3D qui existent en France. Il permet de voir les molécules ! Ça veut dire des objets qui ne font que quelques nanomètres, des millionièmes de millimètres ! Enfin, Hugo va aussi commencer une étude chez des patients atteints de schizophrénie, résistants et ultrarésistants, et comparer la composition en lipides de leurs membranes cellulaires avec celles des sujets sains. Il fera le lien avec la réponse aux médicaments antipsychotiques.

Qu'est-ce qu'il espère trouver au final pour faire avancer la problématique de la schizophrénie ?

Trois choses capitales :
- quelles sont les anomalies de lipides qui jouent un rôle dans la maladie ;

- ces anomalies pourraient devenir des biomarqueurs permettant un diagnostic précoce et de distinguer les différentes formes de la maladie ;

- et l'objectif ultime : proposer un traitement personnalisé, adapté au patient, dès sa prise en charge.