Endométriose : la recherche a besoin de mieux la comprendre pour pouvoir la prévenir et la combattre

25 mars 2024

Notre parrain Thierry Lhermitte s'est rendu dans le laboratoire de Marina Kvaskoff, au Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, à Villejuif, dans le Val de Marne. Elle est à la tête d’un groupe de recherche qui étudie l’endométriose, avec le soutien de la FRM.

Cette visite a fait l'objet de la chronique santé de Thierry Lhermitte diffusée le lundi 25 mars dans l'émission « Grand Bien Vous Fasse ! » sur France Inter, à (ré)écouter en replay.

La chronique en détails

Ali Rebeihi : Thierry, vous vous êtes rendu dans le laboratoire de Marina Kvaskoff, au Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, à Villejuif, dans le Val de Marne. Elle est à la tête d’un groupe de recherche qui étudie l’endométriose.

Thierry Lhermitte : Oui, Marina est épidémiologiste et avec son équipe, elle a l’objectif d’améliorer la santé gynécologique en général et elle est très impliquée dans la lutte contre l’endométriose, puisqu’elle a participé à définir la Stratégie nationale de lutte contre l’endométriose, en 2022. On est le 2e pays au monde à se mobiliser, après l’Australie.

Et c’est justifié, car vous allez voir que c’est très invalidant et qu’on connaît encore très peu de choses sur cette maladie.

Ce qu’on sait d’abord : c’est une maladie gynécologique inflammatoire chronique. Elle se caractérise par la présence anormale de tissus semblables à l’endomètre, qui est le revêtement qui tapisse la cavité interne de l’utérus, à l’extérieur de l’utérus, où il forme des lésions, on va y revenir.

Ali Rebeihi : Et quels sont les symptômes ?

Thierry Lhermitte : Ce sont surtout des douleurs, et elles sont principalement liées aux menstruations, donc le plus souvent les symptômes s’arrêtent avec la ménopause, mais pas toujours.

 Ces douleurs peuvent être terribles. Ce sont des douleurs pelviennes pendant les règles, pendant les rapports sexuels, à l’évacuation d’urine, des selles, des douleurs abdominales chroniques.

Il y a aussi des troubles digestifs et une grande fatigue chronique.

D’un autre côté, il existe aussi des cas asymptomatiques, découverts de manière fortuite, souvent à l’occasion d’un bilan de fertilité. Car l’endométriose est une cause d’infertilité, qui est présente dans un tiers des cas.

On sait aussi qu’environ 50 % des cas sont d’origine génétique.

Ali Rebeihi : Comment fait-on le diagnostic ?

Thierry Lhermitte : Par échographie, voire par IRM.

Quant au traitement, on donne des antalgiques, mais les douleurs sont souvent résistantes, donc le plus souvent le traitement est hormonal pour stopper les règles, réduire l’inflammation.

Pour les douleurs neuropathiques on donne des antiépileptiques, des antidépresseurs, parfois des dérivés de la morphine.

Et puis dans certains cas, on retire les lésions par chirurgie.

**Ali Rebeihi : Où se situent ces lésions **

Thierry Lhermitte : Elles peuvent se retrouver partout dans le corps, dans n’importe quel tissu ou organe, dans la région pelvienne, mais aussi ailleurs, par exemple sur le tube digestif.

Elles se présentent sous différentes formes, qui peuvent exister chez la même patiente : ça va de petites taches blanches, rouges, mais également brune, bleues, noires… superficielles … jusqu’à des formes profondes, des nodules au cœur des tissus.

Ce qui est étrange, c’est qu’il n'y a pas de lien entre l’étendue des lésions et les symptômes : il y a des patientes qui souffrent le martyre et qui ont juste des petites taches qu’on détecte à peine à l'imagerie, et des personnes qui ont des formes très profondes avec des invasions d’organes et qui n'ont pas de symptômes.

C’est une maladie qui est donc hétérogène et très énigmatique  !

Ali Rebeihi : Et combien de femmes sont touchées ?

Thierry Lhermitte : On estime que ce sont 10 % des femmes en âge de procréer, mais c’est très incertain, les études ne donnent pas toutes les mêmes chiffres. Et c’est sûrement sous-estimé du fait des formes sans symptômes.

C’est justement une partie de ce que tente de découvrir l’équipe de Marina Kvaskoff.

Ali Rebeihi : En quoi consistent ces recherches ?

Thierry Lhermitte : C’est de l'épidémiologie, c’est-à-dire qu’elle étudie la répartition de la maladie et ses déterminants au niveau des populations.

En bref, ça permet d’établir la fréquence, la répartition, les facteurs de risque, etc.

C’est donc une approche qui permet de produire des connaissances très utiles à la prévention, qui est un des grands objectifs de l’équipe.

Et c’est vraiment important, car à part tout ce que je vous ai dit avant, on ne connaît quasiment rien de l’endométriose !

On ne sait pas si c’est une maladie qui évolue avec l’âge, si la maladie est plus fréquente aujourd’hui qu’avant, et je ne parle même pas des mécanismes…

En 2018, Marina a contribué à une revue des études sur les facteurs de risque qui avaient été publiées jusque-là.

Moralité, les seules données cohérentes montrent que l’endométriose est associée à un faible poids de naissance, à un âge précoce aux premières règles, à des cycles menstruels courts, et à un faible indice de masse corporelle.

Ali Rebeihi : Donc on a vraiment besoin de la recherche pour pouvoir prévenir et soigner cette maladie !

Thierry Lhermitte : Exactement. Surtout que l’impact sur la vie des femmes est énorme : d’abord, c’est l’errance diagnostique : en moyenne il y a 7 ans de délai entre le début des symptômes et le diagnostic !

Et puis l’endométriose affecte tous les aspects de la vie : études, emploi, carrière, famille, santé mentale, …

Pour recueillir toutes les données qui manquent pour comprendre la maladie, l’équipe de Marina Kvaskoff coordonne une grande étude nationale qui s’appuie sur des cohortes en population, c’est-à-dire des groupes constitués de personnes volontaires qui participent à une recherche. Ces cohortes, qui existent déjà depuis longtemps, peuvent réunir des centaines de milliers de personnes et être suivies durant des dizaines d’années. Il y a notamment de grandes cohortes mère-enfant, des cohortes chez l’adulte, des et une cohortes transgénérationnelles, avec des femmes suivies, puis leurs enfants, puis leurs petits-enfants, etc.

Ali Rebeihi : Comment se passent ces études ?

Thierry Lhermitte : Les personnes répondent à des questionnaires sur l’endométriose, son diagnostic, ses symptômes, etc.

Et des liens seront établis avec toutes les données cliniques, avec les données sur la pollution, les expositions professionnelles, la nutrition, etc. C’est un projet unique en Europe.

Ces études vont enfin permettre d’établir la fréquence de la maladie, les facteurs de risque environnementaux, génétiques, …

La Fondation pour la recherche médicale finance plusieurs études réalisées dans le laboratoire :

  • sur les liens entre l’endométriose et les polluants organiques persistants, ces fameux POP, qu’on retrouve partout parce qu’ils ne se dégradent pas et s’accumulent dans l’environnement, chez les animaux et dans l’organisme, mené conjointement par German Cano-Sancho et Marina Kvaskoff.

  • il y a un autre projet, celui du post-doctorat d’Hélène Amazouz, qui cherche à comprendre le lien entre le risque d’endométriose et les expositions environnementales in utero et après la naissance, la nutrition, l’exposition aux pesticides domestiques, et en croisant les informations des cohortes avec les données de pollution de l’air, etc.

  • et enfin le projet de thèse du Dr Nadjib Mokraoui qui vient de Montréal et étudie les maladies associées à l’endométriose et les liens avec les symptômes, la douleur et la qualité de vie. Pour cela, il travaille avec une cohorte particulière, qui s’appelle ComPaRe (pour communauté de patients pour la recherche), et qui est composée uniquement de personnes avec une maladie chronique.

Ali Rebeihi : Comment ça marche ?

Thierry Lhermitte : C’est une plateforme de recherche participative en ligne. Il suffit d’aller sur le site et de s’inscrire pour ensuite participer en répondant à des questions et en transmettant des informations sur sa maladie ses données de santé (c’est évidemment très sécurisé).

Il y a autour de 60 000 patients aujourd’hui, avec différentes maladies, dont l’endométriose. Toutes les femmes concernées peuvent s’inscrire, ça fait concrètement avancer la recherche ! Le site : compare.aphp.fr

L’équipe a commencé à avoir des résultats, par exemple sur l’errance diagnostique, le ressenti des femmes, l’évolution des douleurs au cours du temps, etc. Donc les choses avancent !