Interview de Pierre Tiberghien, l’un des porteurs du projet CORIPLASM

04 mai 2020

Pierre Tiberghien est médecin, Professeur d'immunologie à l'Université de Franche-Comté, Président de la European Blood Alliance, Conseiller pour la médecine et la recherche, Europe et internationale, à l'Etablissement Français du Sang (EFS).

« L'étude Coriplasm, c'est une belle image de solidarité entre les anciens patients et les nouveaux ! »

Pr Pierre Tiberghien, initiateur et co-concepteur de l'essai clinique Coriplasm, animateur du comité de pilotage plasma convalescent.
Hématologue de formation et Professeur d'immunologie à l'Université de Franche-Comté, Pierre Tiberghien a consacré la moitié de sa carrière à la clinique.

« A l'époque où j'étais clinicien, je travaillais sur les maladies du sang et la greffe de moelle, explique Pierre Tiberghien. Puis j'ai progressivement orienté ma carrière vers les domaines de l'immunologie et de la transfusion. Tout est lié, la greffe de moelle que je pratiquais se rapproche de la transfusion, c'est de l'immunologie. »

De 2004 à 2009, il dirige l'Etablissement français du sang (EFS) Bourgogne Franche Comté, un des établissements régionaux de l'EFS.

En 2008, il met en place une unité de recherche Inserm/Université Franche Comté/EFS à Besançon, consacrée aux interactions entre l'hôte et son greffon et à l'ingénierie tissulaire, et la dirige pendant 8 ans.

En 2009, il rejoint le siège de l'EFS à Paris dont il est directeur général délégué en charge de la médecine et la recherche jusqu'en 2017. En 2020, il devient président de l'Alliance européenne du sang (European Blood Alliance, EBA), une association qui met en relation les établissements du sang en Europe.

Pour faire face à l'urgence sanitaire liée à l'épidémie au Covid-19, Pierre Tiberghien met rapidement en place avec le Pr Karine Lacombe, en avril 2020, l'essai clinique Coriplasm, qui va permettre de tester l'efficacité de la transfusion de plasma de patients guéris du COVID-19 à des patients hospitalisés mais non ventilés.

Il confie « J'ai toujours été sensible aux maladies aiguës réclamant des soins urgents. Quand j'échange avec mes collègues plus directement en contact avec ces maladies, ça fait écho en moi. Ce qui m'anime, c'est le soin, c'est apporter de l'innovation dans les produits issus du corps humain comme les greffons, les produits sanguins ou le plasma ».

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Interview de Pierre Tiberghien

En quoi consiste l'essai clinique Coriplasm ?

Pierre Tiberghien : «  L'étude Coriplasm consiste à administrer des plasmas « convalescents », c'est-à-dire des plasmas prélevés chez des patients guéris du Covid-19, à des malades hospitalisés mais à un stade précoce et sans assistance respiratoire mécanique. Ces plasmas contiennent des anticorps dirigés contre le virus SARS-CoV-2 qui est responsable du Covid-19. Nous aimerions démontrer que l'administration de plasma réduit de façon importante le pourcentage d'entrée en réanimation chez ces patients qui ont des facteurs de risque d'évolution vers une forme sévère, comme une hypertension artérielle ou un diabète Cette étude est dite contrôlée car elle compare l'efficacité du plasma et du traitement standard au traitement standard seul. A ma connaissance nous sommes l'un des seuls dans le monde à avoir initié un essai contrôlé. Je suis l'initiateur et responsable scientifique de l'essai clinique, un essai conçu avec le Professeur Karine Lacombe qui en est l'investigatrice principale.  »

Quels résultats préliminaires vous ont permis d'envisager ce projet ?

P.T. : «  Plusieurs études antérieures ont suggéré que la transfusion de plasma convalescent à des patients pouvait avoir une efficacité. Mais ça n'a jamais été vraiment démontré de façon rigoureuse. Ce fut le cas pour la grippe espagnole il y a plus d'un siècle, le SRAS en 2002, le MERS-CoV, et la grippe H1N1. Des études sur un faible nombre de patients ont été rapportées très récemment en Chine pour le Covid-19, avec là aussi une évolution favorable chez les patients recevant du plasma convalescent. Toutefois, en l'absence de patients suivis en même temps, mais sans traitement par plasma convalescent, il est difficile d'évaluer précisément l'efficacité de cette approche. C'est un point essentiel que nous voulons vérifier. »

Concrètement, comment se déroulent la collecte et la transfusion du plasma convalescent ?

P.T. : «  Nous pensons que nous devrons inclure environ 120 patients, 60 qui recevront le meilleur traitement du moment avec plasma et 60 qui recevront le meilleur traitement du moment sans plasma. Les plasmas sont recueillis chez des patients convalescents dès 15 jours après la fin de leurs symptômes. Grâce à la générosité de ces patients convalescents devenus donneurs, l'Etablissement Français du sang a pu commencer les prélèvements de plasma début avril, et nous avons démarré l'étude à proprement parler le 16 avril._

_Concrètement nous réalisons une aphérèse plasmatique : nous prélevons du sang sur un bras du donneur, le plasma est séparé dans une machine et mis de côté. Tous les autres composants du sang, les globules rouges, les plaquettes et les globules blancs, sont réadministrés au donneur sur l'autre bras. Une aphérèse permet de prélever environ 600 ml de plasma par donneur. Chez les patients COVID-19 hospitalisés et inclus dans l'étude Coriplasm, le plasma est administré en deux fois : 400 ml un 1er jour et 400 ml le lendemain. »

A quoi va servir le financement de la Fondation pour la Recherche Médicale dans l'essai Coriplasm ?

P.T. : «  Il vient en complément d'autres financements, et permet en particulier la réalisation des examens de qualification, c'est-à-dire les examens qui permettent de quantifier les anticorps contenus dans le plasma convalescent prélevé et de s'assurer qu'il contient suffisamment d'anticorps pour neutraliser le virus chez les malades transfusés. Cette quantification est réalisée dans le service du Pr Xavier de Lamballerie, à l'Institut hosptalo-universitaire de Marseille. La FRM contribue à ces opérations essentielles qui permettent de rendre disponibles ces plasmas à l'étude clinique._

_Par ailleurs, le financement de la Fondation pour la Recherche Médicale vient directement soutenir le suivi et l'encadrement de la recherche clinique sur chacun des sites cliniques de l'Etude. Enfin, il permet aussi la réalisation de travaux au laboratoire en lien avec l'essai clinique pour mieux comprendre les mécanismes immunologiques associés à la transfusion de ce plasma riche en anticorps dirigés contre le SARS-CoV-2.

Si on considère la totalité des coûts de ces investigations, la part prise en charge par la FRM est minoritaire mais c'est une part essentielle, c'est souvent cette partie complémentaire qui va permettre de lever des verrous et d'accélérer. Le partenariat rapproché entre la FRM et REACTing/Inserm est tout à fait remarquable, concernant les étapes de validation du projet et la mise en cohérence des efforts de recherche en situation de crise.  »

Pourquoi est-ce si important de titrer les plasmas convalescents?

P.T. : « Cette étape de l'essai soutenue par la FRM est primordiale car cette stratégie thérapeutique est une immunothérapie passive dans le sens où on transfère une quantité finie d'anticorps. Il faut donc, d'une part en transférer le plus possible car nous voulons qu'ils neutralisent le virus, d'autre part avoir le moins de variations possibles dans le titre d'anticorps. Un tiers des plasmas n'ont pas un titre suffisamment élevé au regard des objectifs de l'étude.  »

Envisagez-vous d'inclure d'autres patients dans cet essai ?

P.T. : «  Nous développons un second essai, appelé Coriplasmic, dont l'investigateur principal est le Pr Jean-François Timsit. Cet essai s'adresse à des patients en soins intensifs, sous assistance respiratoire.

Des données récentes suggèrent que la forme grave et tardive de ces patients n'est pas uniquement due à la réaction exacerbée du système immunitaire, mais que le virus joue ici encore un rôle important. D'où l'intérêt potentiel d'utiliser du plasma convalescent chez ces patients également. Ici aussi, la FRM est à nos côtés et finance une partie de l'essai.

Même si le confinement a permis réduire de façon majeure le nombre de nouvelles infections, le COVID-19 n'a pas disparu et il est essentiel de poursuivre les efforts pour identifier de nouvelles approches thérapeutiques efficaces contre cette maladie. »