En réanimation, 50 % des patients victimes de formes graves de covid souffriraient d'un délirium

15 mars 2021

Le Pr Stein Silva, professeur en réanimation au CHU de Toulouse et chercheur au Toulouse NeuroImaging Center, explore actuellement les conséquences des formes graves de la Covid-19 au niveau cérébral.

Notre parrain Thierry Lhermitte l'a rencontré. Il nous explique les enjeux de ce projet de recherche soutenu par la FRM dans sa dernière chronique, diffusée lundi dernier dans l'émission Grand bien vous fasse ! sur France Inter, à (ré)écouter par ici :

Thierry Lhermitte nous parleaujourd'hui de l'épidémie de Covid-19. Il a en effet rencontré le Pr Stein Silva,professeur en réanimation au CHU de Toulouse et chercheur au Toulouse NeuroImagingCenter, spécialiste des états de conscience.
Son projet de recherche est financé par laFondation pour la Recherche Médicale dans le cadre de l'urgence sanitaireactuelle.

Quel rapport entre la réanimationdes malades Covid et les états de conscience ?

C'est le point de départ destravaux du Pr Silva. L'objectif de la réanimation, je le rappelle, c'est desauver des patients en état critique, c'est-à-dire dont les fonctions vitalessont défaillantes (le cœur, les poumons, les reins, etc). Ces patients sontsouvent dans le coma à la suite d'un accident, par exemple, ou parce qu'on lesanesthésie volontairement, pour les aider à respirer par exemple. C'est cequ'on appelle souvent le « coma artificiel ». Or, au cours des 10 dernièresannées, on a découvert que certains patients, en se réveillant, présentaient undelirium.

Qu'est-ce que c'est, un delirium?

C'est un état de confusion dumalade, qui montre des difficultés à s'exprimer, à porter son attention sur cequi l'entoure, à mémoriser, à effectuer des mouvements, etc.). En bref, c'estune altération des facultés cérébrales. Le problème, c'est que ces patientsgardent souvent ces difficultés à long terme, jusqu'à 12 mois, avec un niveaude handicap important dans la vie quotidienne.

Mais il y a un autre problème :ce delirium, qui concerne habituellement environ 20% des patients enréanimation, touche plus de 50% des patients en réanimation pour une formegrave de la Covid !

C'est donc ce signal d'alerte quia motivé le projet de Pr Silva ?

Le projet de Stein Silva vise àcomprendre pourquoi ces patients Covid graves en réanimation sont plus touchéspar ce delirium. Quels sont les mécanismes en cause ?

On a appris rapidement après ledébut de la pandémie que le virus n'attaquait pas que le système respiratoiremais avait aussi des conséquences neurologiques avec des symptômes comme le malde tête, la perte du goût ou de l'odorat.
En fait, le Pr Silva va explorer 3 hypothèses :

- Est ce que le delirium est dûau virus dans le cerveau, c'est-à-dire à une infection cérébrale ?

- Est-ce qu'il est dû à cefameux orage inflammatoire dans tout l'organisme, qui parviendrait à sepropager en quelque sorte dans le cerveau et endommager les cellules nerveuses?

- Ou, enfin, le delirium est-ildû aux problèmes de coagulation observés dans la maladie, qui pourraientprovoquer de petits AVC ?

Que veut faire Stein Silva pourapporter une réponse ?

Ces recherches vont être menéesau sein d'un consortium qui associe des laboratoires de recherche en neurosciences,les hôpitaux de Toulouse et de Tours, et qui réunit de nombreuses disciplines.

L'idée du Pr Silva, c'est de faire une première étude clinique sur 30 patientsen réanimation atteints de delirium (avec l'accord de leurs proches,évidemment). Ils vont rechercher le virus dans le sang mais aussi dans leliquide cépahlo-rachidien qui baigne la moelle épinière et le cerveau. Dans cesprélèvements, ils vont aussi étudier la présence de cellules inflammatoires(les cellules immunitaires et les anticorps).

Est-ce tout pour les examens ?

Non, arrive la partie la plusoriginale du projet : en parallèle, les scientifiques vont étudierl'inflammation cérébrale par imagerie. Ils utilisent pour ça une techniqueparticulière (appelée TEP) avec une caméra qui permet de voir les zonesinflammatoires dans le cerveau. Elles apparaissent dans une couleur différente.Le Pr Silva m'a montré une image, c'est impressionnant !

Le Pr Silva et son équipe vontaussi regarder plus précisément, grâce à l'IRM, dans quelle région précisémentse trouve l'inflammation pour voir quelles zones cérébrales sont touchées :celle de la mémoire, du langage, de la motricité, etc.).

Enfin, c'est le dernier volet :des neurologues, des psychiatres, des neuropsychologues vont faire uneévaluation très poussée des capacités cérébrales de ces patients atteints dedelirium à l'hôpital, puis ils vont les suivre pendant 6 mois pour mesurerl'impact de leurs problèmes sur leur vie quotidienne.

Quels espoirs avec cette étude ?

Le Pr Stein Silva veut déjàcomprendre les mécanismes qui mènent au delirium. Il espère identifier desmarqueurs, biologiques ou d'imagerie, qui serviraient à repérer facilement lespatients, à différencier des profils éventuellement et, surtout, à adapter leurprise en charge avec des traitements plus spécifiques.

Si l'étude montre que le deliriumest dû à du virus dans le cerveau, ou à une inflammation cérébrale, il veuttester des médicaments antiviraux ou anti-inflammatoires, selon le cas, pouressayer d'améliorer l'état cognitif de ces patients.

L'objectif est également deproposer une prise en charge cognitive précoce, dès la sortie de laréanimation, pour aider à la récupération des facultés.

Pour quand les résultats decette étude sont-ils prévus ?

Le Pr Stein Silva vient justed'avoir les autorisations réglementaires, les patients vont commencer à êtrerecrutés à la fin du mois.

Beaucoup de patients sont enréanimation aujourd'hui, donc l'étude peut être assez rapide. Stein Silva penseque d'ici 3 mois ils pourront commencer à analyser les données recueillies.

Mais ce n'est qu'une étudepréliminaire, la phase suivante sera de confirmer les résultats obtenus sur unplus grand nombre de patients.

Cette étude risque d'avoir desrépercussions importantes

Absolument ! Étant donné le grandnombre de patients atteints de forme grave de la Covid en réanimation et quiont un delirium, cette crise sanitaire pourrait avoir des conséquences à longterme en santé publique.

Du côté des choses positives, lePr Silva m'a fait remarquer que la Covid a accéléré beaucoup de choses enmédecine (on l'a déjà vu avec la nouvelle génération de vaccins mis au point).

Cette étude pourrait débouchersur une nouvelle approche pour les gens qui sortent de réanimation : enproposant une filière de soins qui ne serait pas conçue uniquement dansl'urgence (de l'ambulance à la réanimation), mais plutôt comme unaccompagnement du patient à plus long terme, avec une filière adaptée pourréhabiliter ses facultés cérébrales.

Le vrai espoir du Pr Silva,c'est de changer la vision de la réanimation et des soins apportés.

En savoir plus sur les actions menées par la FRM et les 35 projets de recherche sur les virus émergents et la Covid-19 soutenus depuis un an.

Thierry Lhermitte, le parrain de la FRM intervient un lundi par mois au cours de l'émission « Grand bien vous fasse ! » présentée par Ali Rebeihi, tous les jours de 10 à 11h sur France Inter.

Dans sa chronique de quelques minutes, Thierry Lhermitte raconte sa rencontre avec un chercheur soutenu par la FRM et fait le point sur la progression d'une recherche dans le domaine médical.

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