Regards croisés : la recherche prend-elle en compte son impact environnemental ?

08 novembre 2023

Tous secteurs confondus, de plus en plus d'entreprises intègrent la cause environnementale dans leurs stratégies de développement. Et cela passe notamment par la maîtrise, voire la réduction, de l'impact écologique de leurs activités. Les institutions publiques - notamment les acteurs de la recherche scientifique - s'emparent à leur tour de ces questions, mais jusqu'où peuvent-elles aller sans entraver leurs capacités à produire des connaissances et des solutions innovantes ?

Points de vue de deux experts sur cette question.

  • André Estevez-Torres

    Directeur de recherche CNRS, chercheur en chimie physique au laboratoire Jean Perrin (Paris), membre du collectif Labos 1point5

  • Christine Noiville

    Juriste, directrice de l'Institut des sciences juridique et philosophique de La Sorbonne, présidente du Comité d'éthique du CNRS

Jusqu’où peuvent aller les institutions publiques dans la cause environnementale, sans entraver leurs capacités à produire des connaissances et des solutions innovantes ? © Frédéric Benaglia

Le point de vue de André Estevez-Torres

OUI, MAIS

Le collectif Labos1point5 a été créé en 2018 pour rassembler des acteurs de la recherche publique, de toutes disciplines, autour d'un objectif commun : mieux comprendre et réduire l'impact des activités de la recherche sur l'environnement, en particulier sur le climat. Sur notre site Internet, nous proposons des outils en accès libre comme le dispositif GES1point5, destiné aux laboratoires de recherche pour mesurer leurs émissions de CO2. Il s'avère qu'en moyenne, les postes de dépenses les plus importants sont les consommables (matériels à usage unique) et les gros équipements (ordinateurs, appareils d'analyses), les déplacements en avion, les déplacements entre le domicile et le laboratoire, et le chauffage des bâtiments. Aujourd'hui, plus de 700 laboratoires public sont déjà utilisé cet outil, sur les 2 000 que compte le pays. Les grands organismes de recherche ont déjà organisé des journées d'information sur le thème du développement durable. Le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) a par ailleurs mesuré son empreinte carbone : il est de 12 tonnes d'équivalent CO2 par an et par personnel (celle d'un Français est estimée en moyenne à 8,9 t/an, hors vie professionnelle, NDLR). Une étape importante a été franchie, et il faut maintenant passer à la suivante. Pour cela, notre collectif offre des outils en libre accès, afin d'analyser concrètement l'impact de chaque mesure envisagée, comme par exemple renouveler moins souvent le parc informatique ou acquérir des équipements d'occasion. Nous pouvons cependant craindre des blocages d'ordre systémique. En effet, la compétition scientifique en elle-même encourage à utiliser des équipements toujours plus performants ou à participer à de nombreux congrès à travers le monde, ce qui peut être un obstacle à la réduction des émissions de CO2.

Pour en savoir plus sur le collectif Labos1point5

Le point de vue de Christine Noiville

OUI

La question est cruciale : comment articuler concrètement l’enjeu environnemental – qui semble inévitablement conduire à limiter les missions de recherche éloignées, l’usage d’instruments énergivores, etc. – avec l’injonction a priori contradictoire de produire « au meilleur niveau mondial » des connaissances qui pourraient contribuer précisément à répondre aux défis environnementaux ? Saisi par le PDG du CNRS, le Comité d’éthique du CNRS (Comets) a rendu en décembre dernier un avis sur cette question. Il y délivre trois grands messages. Premièrement, les chercheurs doivent penser soigneusement leurs activités de recherche en lien avec la protection de l’environnement. C’est une responsabilité éthique qui leur incombe. Deuxièmement, cette responsabilité est à prendre au sens large. Elle concerne les pratiques de la recherche « au quotidien » - c’est l’objet du plan de transition bas carbone, qui vise à ce que les chercheurs achètent moins et mieux, limitent leurs déplacements, utilisent le numérique de façon plus frugale, etc. Mais elle doit aussi concerner le choix des sujets de recherche : multiplier ceux qui peuvent aider aux transitions écologiques et énergétiques, et éviter ceux qui sont de nature à conforter des modes de production ou de consommation non durables. Troisième message : le CNRS doit mettre ces questions en débat et faire en sorte que la réflexion soit, autant que possible, équipée d’outils et de méthodologies largement partagés. Ce qui importe, c’est que s’enracine une « culture de l’impact environnemental » chez les acteurs de la recherche.