Bruno Canard partage avec nous les découvertes réalisées sur le coronavirus

30 mars 2020

Bruno Canard, spécialiste des coronavirus.

_« Il faut financer des études fondamentales sur tous les virus pour ne pas reproduire, en cas de nouveau virus émergent, la panique que l'on connaît avec le coronavirus. »
_

Bruno Canard est spécialiste des coronavirus. Il est directeur de recherche CNRS et responsable de l'équipe « Réplicases virales : structure, mécanisme et drug-design », dans le laboratoire « Architecture et fonction des macromolécules biologiques » de Marseille.

La FRM a financé son équipe de 2008 à 2011, à hauteur de 272 177 euros. Depuis 2019, elle est à nouveau à ses côtés et lui a attribué 318 460 euros pour travailler sur 3 virus émergents, dont le coronavirus.

Bruno Canard revient sur son entrée dans le monde des coronavirus, partage avec nous les découvertes réalisées sur le coronavirus grâce au soutien de la FRM et ses recherches en cours. Un travail acharné, sur du long terme pour se préparer aux épidémies à venir.

Qu'est-ce qui vous a amené à travailler sur les coronavirus ?

Bruno Canard : « L'entrée de mon équipe dans le monde des coronavirus a commencé en 2002 par une découverte sur le virus de la dengue. Nous avons découvert une enzyme qui protège le matériel génétique de ce virus dans la cellule infectée. Cette enzyme était suspectée d'être également présente chez les coronavirus, ce qui m'a valu d'être invité par Eric Snijder à un congrès sur la famille des nidovirus à laquelle appartiennent les coronavirus. C'était en Hollande, début 2003, à Egmond Ann Zee. Je m'en souviens car le congrès Nidovirus 2020 devait y avoir lieu en mai et il a été annulé pour cause de… Covid-19. L'idée était que cette communauté de chercheurs s'inspire de nos travaux sur la dengue pour leurs recherches sur le coronavirus . Ce meeting s'est déroulé à l'époque en plein milieu de l'épidémie du SRAS. Rapidement une réponse à l'épidémie s'est organisée dans la communauté scientifique, des projets ont vu le jour et je me suis retrouvé embarqué par tous les spécialistes du coronavirus dans cette nouvelle aventure ».

Vous avez donc réorienté votre projet de la dengue vers le coronavirus ?

BC : « _J'étudiais à l'époque comment les virus se répliquent. Ils ont tous une sorte de machine, une enzyme, qui s'appelle ARN polymérase, qui permet de répliquer leur matériel génétique. Cette enzyme présente juste quelques variations d'un virus à l'autre. Je n'ai donc rien réorienté, j'ai juste adapté mes recherches.
En 2004, avec Christian Cambillau, nous avons monté un projet européen qui visait à étudier un spécimen de chaque famille virale connue : un coronavirus, un flavivirus représentant Zika ou la Dengue , un filovirus représentant Ebola , un virus de la famille de la rougeole, un alphavirus représentant Chikungunya , etc Ainsi, nous voulions être préparés à l'arrivée de virus émergents car un virus émergent n'est jamais véritablement inconnu, il est en général très proche d'un virus connu. Ce projet a été un gros succès européen, et a généré énormément de connaissances sur les structures des protéines du coronavirus et d'autres virus qui ont une probabilité d'émergence demain. Et étudier la structure des protéines virales, c'est savoir où et comment on peut créer un médicament ».
_

Vous avez été soutenu par la Fondation pour la Recherche Médicale de 2008 à 2011. Quelles avancées ont été permises sur le coronavirus ?

BC : « C'est difficile d'associer des découvertes à des financements car la recherche c'est une continuité, et les résultats arrivent parfois 3 à 4 ans après la fin du soutien par un organisme. Ce qui est cependant propre au financement FRM, ce sont les résultats que j'ai obtenus sur la coiffe des coronavirus. Cette coiffe protège leur ARN, leur matériel génétique, et le stabilise dans la cellule. C'est grâce à cette protection que les protéines virales peuvent s'exprimer dans la cellule, et que de nouveaux virus vont être produits. Nous avons découvert une première enzyme qui permet de fabriquer et fixer cette coiffe sur le matériel génétique viral, et de fil en aiguille nous avons identifié presque tout le système enzymatique de coiffe.
Ces données sont extrêmement importantes car c'est un mécanisme original propre aux virus, qui n'existe pas dans la cellule. Donc si on développe un médicament qui interfère avec ce complexe enzymatique de coiffe, il sera spécifique du virus et on n'aura pas d'effets secondaires.
Nous avons ensuite découvert que non seulement ce complexe enzymatique de coiffe est primordial dans la stabilité du matériel génétique du virus mais qu'en plus il est aussi très important dans la reconnaissance du soi et du non soi de la cellule. Plus précisément, les enzymes de cette coiffe sont aussi impliquées dans le camouflage des ARN dans la cellule. Grâce à ces enzymes, la cellule pense que l'ARN viral lui appartient, elle pense que c'est du soi et ne le détruit pas. Le virus peut se multiplier sans être inquiété. Or l'orage cytokinique qu'on rencontre notamment chez les patients Covid-19 est une réponse de la cellule en partie provoquée par la tentative de camouflage de l'ARN viral dans la cellule. Ici encore des traitements pourraient être développés, en ciblant cette enzyme et le système immunitaire, pour moduler la réaction immunitaire du malade ».

Vous êtes à nouveau soutenu par la FRM depuis 2019, en quoi consiste ce nouveau projet ?

BC : « Le projet FRM porte principalement sur l'étude de 2 enzymes, chez 3 virus : la dengue, Ebola et le virus du SRAS qui est un coronavirus. Ces enzymes sont très conservées d'un virus à l'autre. Tout d'abord l'ARN polymérase, sur laquelle je travaille depuis des années, une enzyme qui permet au virus de copier son matériel génétique, afin qu'il se multiplie. Nous cherchons à mieux comprendre comment l'ARN polymérase réplique aussi fidèlement le matériel génétique du virus, et nous essayons de trouver le moyen de la berner avec des leurres qui deviendront des médicaments de demain. Des analogues de nucléosides sont de très bons candidats sont. Ils ont déjà montré leur efficacité contre l'hépatite C. Ce type de médicament et d'enzyme, c'est un couple gagnant. Dans le cas de l'hépatite C, le sofosbuvir (ou Sovaldi) permet de guérir à 99 % les gens atteints de l'hépatite C. C'est un succès considérable des thérapies antivirales.
L'autre enzyme que nous étudions est la méthyltransférase, l'une des enzymes qui constitue le complexe qui permet de produire la coiffe de l'ARN. Nous cherchons à comprendre comment elle réussit à faire croire à la cellule que l'ARN viral lui appartient.

Ces recherches sont primordiales car elles permettront non seulement de développer des médicaments contre les infections en cours comme le Covid-19, mais elles permettront de se préparer aux prochaines épidémies. Car si un virus inconnu apparait et possède un appareil enzymatique proche de ceux que nous aurons étudiés, alors nous pourrons repositionner facilement notre recherche ».