Trouver les réservoirs viraux du VIH dans l'organisme et comprendre leur mécanisme

15 décembre 2021

Notre parrain Thierry Lhermitte est allé rencontrer Francesca Di Nunzio et Jean-Sébastien Diana, qui travaillent tous les deux, grâce au soutien de la FRM, sur le VIH au sein de l'Unité Virologie Moléculaire Avancée de l'Institut Pasteur. Où se trouvent les réservoirs viraux du virus et quels sont les mécanismes de sa formation ? Ce sont les questions auxquelles les chercheurs essayent de répondre.

D'abord un petit rappel sur le sida. Car il n'y a pas que le Covid-19 qui sévit en ce moment !

Oui, c'est important de le rappeler en effet. Le sida, c'est l'acronyme de « syndrome d'immunodéficience acquise ». Ce qui signifie que le malade perd progressivement ses défenses immunitaires car le virus en cause infecte les cellules immunitaires et les tue. Cette maladie a été signalée pour la première fois 1981 aux États-Unis. En 1983, c'est Luc Montagnié, Françoise Barré-Sinoussi et leur équipe, à l'Institut Pasteur, qui identifient le virus en cause, baptisé VIH, pour « virus de l'immunodéficience humaine ». En 2008 les deux chercheurs ont reçu le Prix Nobel pour cette découverte. Depuis c'est le virus le plus étudié au monde !

Et pourtant, depuis 40 ans, on ne l'a toujours pas vaincu ni trouvé de vaccin.

En effet, 38 millions de personnes sont actuellement infectées dans le monde et il y a eu quasiment autant de décès jusqu'à aujourd'hui. Dans le monde en 2020 il y a eu 1,5 million de nouveaux cas. En France, il y a 6 000 nouveaux cas par an, mais on estime à 26 000 les personnes non diagnostiquées. Il est très important de se faire dépister : pour ne pas contaminer d'autres personnes, mais aussi car le traitement est plus efficace quand il est commencé tôt.

Oui, les traitements ont beaucoup progressé heureusement.

Effectivement, nous avons aujourd'hui les trithérapies. Les patients traités tôt ont une espérance de vie équivalente à celle de tout le monde. Mais il y a beaucoup d'effets adverses, des résistances. Donc pour vaincre ce virus, il faut encore des recherches fondamentales !

Pourquoi est-ce si difficile d'éliminer le virus de l'organisme **?
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Avec la trithérapie le virus devient indétectable dans le sang. Mais dès qu'on l'arrête il réapparaît rapidement, en 2 à 3 semaines. Cela veut dire que malgré le traitement, il reste dans l'organisme. Il est en mode veille, dans des endroits que les chercheurs appellent les réservoirs.

Que faire pour éliminer le virus dans ces réservoirs ?

C'est le cœur du problème ! On sait que les réservoirs se forment dès tôt, dans les premières heures de l'infection. Ils sont probablement peu nombreux et disséminés dans les organes : notamment le sang, la rate, les poumons, le cerveau, le tissu gras, les organes génitaux. Mais dans quelles cellules se cachent-ils ? Et à l'intérieur de la cellule, dans quel compartiment ? C'est ce que Francesca di Nunzio et de Jean-Sébastien Diana voudraient élucider, avec les mécanismes bien sûr.

Comment comptent-ils s'y prendre ?

Ils vont plonger au cœur du noyau de la cellule infectée. En effet, c'est là que se joue la propagation du virus. Une fois que le virus du sida a pénétré dans une cellule immunitaire, il est débarrassé de l'enveloppe qui l'entoure et son matériel génétique se dirige dans le noyau protégé par une structure particulière du virus, la capside. Son but est en effet de s'intégrer au matériel génétique de son hôte, qui s'y trouve. Une fois intégré dans l'ADN de la cellule hôte, le génome du virus est transcrit comme les autres gènes de la cellule. La cellule infectée produit donc elle-même toutes les protéines du VIH ! Elles n'ont plus qu'à être assemblées pour refaire des particules virales, qui vont infecter d'autres cellules.

Mais comment le doctorant peut-il regarder dans le noyau des cellules infectées, à si petite échelle ? C'est de l'ordre de quelques nanomètres, des milliardièmes de mètres ?

C'est possible grâce à une technologie innovante inventée par l'équipe. Un brevet a d'ailleurs été déposé. Grâce à cette technologie, l'équipe de Francesca di Nunzio a visualisé l'année dernière, pour la première fois au monde, le matériel génétique du VIH à l'intérieur du noyau d'une cellule vivante infectée. Et elle a découvert que l'infection provoque des modifications dans ce noyau. Je passe les détails, mais cette étude a mis en lumière le fait qu'on connaît encore mal le cycle de vie du VIH dans la cellule. Et que c'est peut-être à cause de ça qu'aucun traitement définitif ni vaccin n'existe à ce jour.

Qu'est-ce que Jean-Sébastien Diana va faire avec cette nouvelle technologie ?

Avec cet outil, il veut répertorier les réservoirs du virus dans l'organisme. Il peut en effet suivre directement le matériel génétique du virus et le visualiser lorsqu'il est intégré à l'ADN de la cellule hôte ! C'est la seule équipe à faire cela en Europe ! Cette technique a été appliquée à des cellules immunitaires isolées. L'enjeu maintenant est de regarder l'organisme entier. Pour cela, il va le faire dans un modèle : car il est impossible de travailler chez l'humain, il faudrait avoir accès à tous les tissus.

Quel modèle ?

Un modèle de souris avec un système immunitaire humanisé. Je simplifie considérablement. Le VIH n'infecte que les cellules immunitaires humaines. Donc la première étape, très complexe, c'est de reconstituer notre système immunitaire chez la souris en greffant des cellules souches humaines, qui vont produire toutes les cellules immunitaires humaines en remplacement de celles de l'animal. Deuxième étape : créer un virus VIH capable d'être visible à l'imagerie dans les cellules infectées. Jean-Sébastien lui ajoute donc une sorte de petit marqueur. Là aussi c'est une étape très délicate pour ne pas perturber le cycle de vie du virus. Le doctorant va ensuite comparer les tissus des souris infectées par ce virus sans traitement avec d'autres sous trithérapie. Son objectif : visualiser les réservoirs et comprendre ce qui se passe au cœur du noyau des cellules infectées !

Ça a l'air très complexe !

Oui, c'est un projet très complexe et très ambitieux ! Il faut comprendre que ça fait intervenir de nombreuses disciplines et des manipulations en environnement protégé à cause du virus. Et l'observation se fait sur un microscope particulier, cellule par cellule, générant une quantité énorme de données à analyser ! Ce modèle est très attendu car il va permettre de comprendre mieux l'infection par le VIH dans le temps et sa répartition dans l'organisme. Mais au-delà, il pourra être utilisé pour tester de nouveaux traitements, ou encore appliqué à d'autres domaines de la biologie.