Résistance aux anticancéreux : identifier de nouvelles cibles thérapeutiques au cours de la leucémie aigüe lymphoblastique


La majorité des décès par cancer sont liés à la présence de métastases, des amas de cellules tumorales ayant migré et souvent issues de souches résistantes aux traitements. Pour repérer au plus tôt ces cellules récalcitrantes et les annihiler, plusieurs stratégies ont été mises au point : traitements personnalisés, combinaison thérapeutique et surveillance. La recherche reste foisonnante sur ce sujet et de nombreuses pistes sont explorées simultanément afin de limiter l’échappement des cellules tumorales à la surveillance, de renforcer l’efficacité des traitements et d'identifier les alternatives les plus prometteuses.
En France, le cancer est la première cause de mortalité prématurée, devant les maladies cardiovasculaires.
En 2023, 3,8 millions de personnes vivaient avec un cancer, dans l’Hexagone. La même année, plus de 433 000 nouveaux cas étaient diagnostiqués et 164 000 patients en sont décédés.
Si l’incidence des cancers a fortement augmenté au cours des 30 dernières années, le taux de guérison a également progressé : + 21 points pour le cancer de la prostate, + 11 points pour le mélanome cutané ou + 9 points pour le cancer du sein, entre 1990 et 2015.
Cependant, le risque de rechute demeure, avec la possibilité de voir apparaître des métastases. Ainsi, la majorité des décès par cancer sont liés à la présence de métastases.
Tous les experts s'accordent sur ce point : les résistances aux traitements constituent aujourd'hui le principal facteur limitant la guérison des patients atteints de cancer. Et pourtant, l'arsenal thérapeutique n'a jamais été aussi développé : la chirurgie, la chimiothérapie et la radiothérapie bien sûr, complétés depuis quelques années par de nouvelles armes comme les thérapies ciblées et l'immunothérapie qui ont permis de remporter de nouveaux succès contre le cancer. Oui, mais voilà, tout comme certaines bactéries sont douées de mécanismes de résistance aux antibiotiques - et ce phénomène pose un problème majeur de santé publique à l'échelle mondiale -, les cellules cancéreuses peuvent elles aussi, à leur façon, être résistantes aux traitements. En d’autres termes, certaines cellules cancéreuses peuvent demeurer insensibles au traitement. Et ce, dès les premières étapes de la cancérisation, on parle alors de résistance primaire, ou bien elles peuvent acquérir cette capacité au fur et à mesure des traitements mis en place, il s'agit alors de résistance secondaire.
Le risque est que ces cellules récalcitrantes se multiplient pour former une nouvelle tumeur, résistante au traitement, voire qu’elles essaiment partout dans le corps pour créer de nouveaux foyers tumoraux, appelés métastases.
Plusieurs facteurs de risque favorisent la résistance au traitement. La charge tumorale d’abord, c’est-à-dire le nombre de cellules cancéreuses. Plus leur nombre est important, plus le risque que l’une d’entre elles soit résistante à un traitement est élevé. La taille initiale de la tumeur, sa vitesse de croissance mais également sa composition interne jouent un rôle majeur.
Une tumeur cancéreuse n'est pas un amas de cellules identiques. Bien au contraire, elle est constituée d'une mosaïque de cellules aux caractéristiques moléculaires différentes, qui évolue dans le temps et dans l'espace : on parle d'hétérogénéité intratumorale, une propriété de la tumeur qui a de lourdes conséquences sur l'efficacité des traitements.
Prenons une tumeur quelconque, au sein de laquelle existe par exemple une sous-population de cellules présentant un gène de résistance à la chimiothérapie. Lorsque le traitement va être mis en œuvre, ces cellules particulières vont avoir un avantage sélectif par rapport aux autres. Et à l'instar du processus darwinien de sélection naturelle où les plus adaptés survivent, seules ces cellules cancéreuses résistantes à la chimiothérapie vont perdurer après le traitement et donc avoir toute liberté pour se multiplier. Il s'agit du phénomène de résistance primaire.
Un tel échappement au traitement peut aussi s'observer à cause d'une résistance secondaire. En effet, le génome des cellules cancéreuses a une capacité accrue à muter. Ces cellules peuvent donc acquérir très rapidement de nouvelles caractéristiques qui peuvent éventuellement leur donner un avantage en cours de traitement.
Par ailleurs, une autre sélection peut s'opérer, de type « lamarckienne » cette fois. Dans ce cas, c'est le traitement lui-même qui provoque l'apparition de caractéristiques favorisant la résistance des cellules cancéreuses. Et cela passe le plus souvent par des mécanismes épigénétiques : ce n'est pas la séquence même des gènes des cellules cancéreuses qui est affectée, mais seulement la façon dont ils s'expriment.
Les avancées récentes dans le domaine de la cancérologie ont aussi démontré l'existence de cellules souches cancéreuses, qui possèdent des caractéristiques associées aux cellules souches normales. Ce sont des cellules qui au sein d'une tumeur ont la particularité de se diviser très peu et très lentement, elles sont donc peu voire pas du tout sensibles à la chimiothérapie et la radiothérapie. Mais elles sont aussi capables de se « réveiller » même après un temps de latence important et d'acquérir une capacité de multiplication et d'évolution rapide comme n'importe quelle cellule cancéreuse classique.
Lorsque l'on s'intéresse à l'efficacité d'un traitement anticancer, deux paramètres sont à prendre en compte : le taux de réponse à un traitement, c'est-à-dire la diminution de taille de plus de 30 % d'une tumeur, et la survie sans progression, le temps pendant lequel on obtient un taux de réponse satisfaisant. Or, toutes les tumeurs ne réagissent pas de la même façon aux différents traitements. Ces indicateurs ne permettent cependant pas toujours de déceler une résistance : parfois, alors qu'on ne voit plus rien à l'imagerie médicale, il peut rester quelques cellules cancéreuses qui ont résisté et qui pourront se réveiller des années plus tard et donner lieu à une récidive. Comprendre ces résistances, et comment elles influent sur les taux de réponse aux anticancéreux et sur la survie sans progression, est aujourd'hui l'un des enjeux majeurs de la cancérologie moderne.
Depuis quelques années, la recherche sur le cancer s’accélère et met à la disposition des oncologues un arsenal thérapeutique de plus en plus étoffé. Désormais, les traitements s’adaptent au type moléculaire de chaque cancer, afin d’éliminer le maximum de cellules cancéreuses.
Pour contrer les phénomènes de résistance innée ou acquise, la plupart des traitements anticancéreux s'envisagent désormais en combinaison, afin de cibler plusieurs mécanismes en même temps ou successivement. Les chercheurs tentent aussi de découvrir des biomarqueurs, des molécules biologiques que l'on peut doser, qui permettent de connaître et de suivre dans le temps l'apparition de résistances. Par exemple, une équipe de l’Inserm a montré que les patients atteints de leucémies aiguës myéloïdes, répondant le mieux à la bithérapie (chimiothérapie et thérapie ciblée) et ayant une meilleure survie à long terme présentent dans leur transcriptome un biomarqueur spécifique, appelé signature « Mitoscore ». Ce biomarqueur permettra peut-être aux chercheurs d’identifier les patients les plus à risque de développer une résistance secondaire. Des tests sanguins sont également à l’étude. Ils permettront de déceler des cellules tumorales circulantes et pourraient faciliter la surveillance de l’évolution de la tumeur et l’apparition éventuelle de nouvelles souches résistantes.
Les immunothérapies mises au point ces dernières années ont permis de grands progrès, notamment dans la prise en charge des cancers du poumon et des mélanomes. Il s’agit de médicaments anti-checkpoints qui empêchent les cellules cancéreuses d'inhiber le système immunitaire. Malheureusement ils ne fonctionnent pas chez tous les patients : certaines tumeurs ne sont pas sensibles aux anti-check-points. Dans d'autres cas, on peut être face à des cellules cancéreuses qui présentent très peu d'antigènes spécifiques, elles ne sont donc tout simplement pas reconnues comme anormales par le système immunitaire. Pour contourner les résistances aux immunothérapies, il faut s'assurer de sélectionner les « bons » patients : ceux dont le système immunitaire est capable de reconnaître les cellules cancéreuses et d'être stimulé par des médicaments. Là aussi, l'enjeu pour les chercheurs est donc de prédire la sensibilité des cancers aux immunothérapies pour les utiliser à bon escient.
Pour vaincre la résistance aux traitements anticancéreux, de nombreuses pistes sont explorées simultanément : identifier et inhiber les voies de signalisation compensatoires utilisées par les cellules cancéreuses pour déjouer le traitement, étudier les mécanismes de résistance, la plasticité des cellules cancéreuses ou encore le rôle du microenvironnement tumoral pour les cibler et réduire la progression tumorale. Les chercheurs tentent également de déterminer les processus impliqués dans l’inhibition de la mort cellulaire ou la réparation de l’ADN.
Les scientifiques étudient les mécanismes moléculaires et génétiques permettant aux cellules d’acquérir une résistance aux traitements (chimiothérapie, immunothérapie, thérapies ciblées, etc.), afin d’élaborer de nouvelles stratégies thérapeutiques. En 2020 par exemple, une équipe de l’institut Curie a montré que les cellules tumorales résistantes aux traitements conventionnels, et donc potentiellement sources de métastases, étaient particulièrement riches en fer. En 2025, dans une étude publiée dans Nature, ils ont dévoilé une stratégie thérapeutique innovante par fentomycine, déclenchant une cascade de réactions aboutissant à la mort cellulaire des cellules tumorales. Un phénomène nommé ferroptose. Le traitement est efficace sur des modèles animaux, mais des recherches complémentaires, notamment sur la toxicité du produit, sont encore nécessaires avant les premiers essais cliniques chez l’homme. Autre exemple : en 2020, une équipe de l’Institut Curie a montré que la surabondance d’une enzyme codée par le gène PLK1 était impliquée dans la prolifération des cellules tumorales et associés à la résistance à l’hormonothérapie. Inhiber l’expression de ce gène pourrait-il réduire la résistance au traitement ? Enfin, la recherche s’intéresse aux cellules cancéreuses dormantes capables de se réveiller des années plus tard et d’évoluer vers une métastase ou une récidive. Comment ces cellules entrent-elles en dormance ? Peut-on les forcer à en sortir pour les traiter plus facilement ? Autant de questions en suspens sur ces cellules rares et difficiles à isoler.
On sait depuis longtemps que les tumeurs se développent dans un environnement acide. Celui-ci protège les cellules tumorales contre les traitements. Les chercheurs tentent de contrecarrer cette acidité afin de rendre les traitements plus efficaces. Un projet européen, nommé Survivre, est en cours sur cette thématique.
Une équipe de l’Inserm à l’université de Strasbourg a aussi montré que les cellules cancéreuses se servent des plaquettes et des cellules de l'endothélium pour s’extirper du flux sanguin et aller former leurs métastases ailleurs. Les cibler pourrait peut-être limiter le risque de métastases. Autre cible d’attaque potentielle : les fibroblastes. Des chercheurs ont noté que ces cellules du tissu de soutien sont très abondantes dans les tumeurs solides. Certaines d’entre elles favorisent la propagation métastatique, réduisent l’activité du système immunitaire et entraînent une résistance à l’immunothérapie. Faudrait-il cibler ces fibroblastes ? Des études sont en cours.
Nanomédecine permettant de délivrer les traitements au cœur de la tumeur, combiner thérapie génique et thérapie moléculaire afin de conférer aux cellules immunitaires du patient une meilleure efficacité, coupler intelligence artificielle à des modèles multi-omiques pour identifier des signatures de résistance, des profils métaboliques ou immunitaire associé à la résistance sont autant de pistes prometteuses également poursuivies.
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