Antibiotiques

Antibiotiques : une ressource à protéger

Au cours du XXe siècle, les antibiotiques ont permis de réduire considérablement la mortalité due aux maladies infectieuses. Revers de la médaille, nous sommes désormais confrontés à un problème global de résistance des bactéries à ces médicaments.

Pour préserver l’efficacité des antibiotiques, en santé humaine comme en santé animale, la lutte s’organise sur tous les fronts.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), nous pourrions bientôt basculer dans « une ère post-antibiotique », dans laquelle des infections bactériennes auparavant facilement guérissables deviendraient à nouveau mortelles par défaut d’efficacité des médicaments. Le recours à certaines interventions chirurgicales courantes, comme une césarienne ou la pose d’une prothèse, deviendrait alors délicat à cause du risque d’infection.


En cause : le développement des résistances aux antibiotiques.


Si, à l’échelle mondiale, le problème prend de l’ampleur, il existe cependant des raisons d’espérer : depuis quelques années, le développement de mesures de prévention, d’hygiène et de diagnostic a permis de circonscrire cette antibiorésistance dans certains pays occidentaux (lire le point de vue de Xavier Nassif, parrain de ce dossier), et la mobilisation de la recherche scientifique permet d’espérer la mise au point de nouvelles stratégies thérapeutiques.

D’après l’OMS

700 000 personnes

dans le monde

meurent chaque année d’infections dues à des bactéries résistantes.

En Europe, on en compte 25 000.

Un phénomène naturel

Les antibiotiques sont des substances d’origine naturelle ou synthétique capables de tuer des bactéries. Il existe plusieurs familles d’antibiotiques : certaines bloquent la multiplication des bactéries car elles inhibent la synthèse de leur paroi ou la copie de leur matériel génétique par exemple, d’autres bloquent certaines voies de leur métabolisme ou détruisent une partie de leurs constituants.


On parle de résistance quand une bactérie est capable de se multiplier malgré la présence d’un antibiotique.

Différents mécanismes peuvent expliquer ce phénomène. Par exemple, la bactérie produit une enzyme qui détruit l’antibiotique, ou modifie la cible de ce dernier pour qu’elle ne soit plus reconnue et donc plus attaquable. La bactérie peut aussi avoir une paroi imperméable à l’antibiotique, ou disposer d’un mécanisme de reflux qui va systématiquement évacuer l’antibiotique. « Il y a des résistances naturelles : certaines bactéries sont insensibles à un antibiotique car elles disposent naturellement d’un mécanisme de résistance, explique le Dr Laurent Dortet, directeur du Centre National de Résistances aux antibiotiques à l’hôpital Bicêtre (AP-HP, Le Kremlin-Bicêtre). Mais les résistances peuvent aussi être acquises. Les bactéries sont des organismes qui se multiplient très vite, et les erreurs de copies de leur ADN sont possibles. Or il arrive que ces erreurs, des mutations génétiques, conduisent par hasard au développement d’un mécanisme de résistance. »

On parle de résistance quand une bactérie est capable de se multiplier malgré la présence d’un antibiotique.


Un phénomène amplifié par l’usage des antibiotiques

L’acquisition d’une résistance à un antibiotique par une souche de bactéries est donc un phénomène naturel. Le problème s’aggrave lorsque cette souche est mise en présence de l’antibiotique : il va exercer en effet une pression de sélection en éradiquant toutes les bactéries sensibles et en laissant survivre les résistantes, qui vont alors se multiplier. La dissémination de l’antibiorésistance peut s’expliquer par la combinaison de plusieurs phénomènes : une utilisation massive des antibiotiques en santé animale et humaine, un mésusage des médicaments (mauvais choix de molécule, dose et durée inadaptées…), et la capacité des bactéries à se transmettre du matériel génétique qui peut contenir des gènes de résistance.

Tant que nous utiliserons des antibiotiques, le phénomène d’antibiorésistance existera. Le véritable enjeu est de faire en sorte qu’il reste marginal.


Et pour cela « nous devons nous appuyer sur quatre piliers :

  • connaître l’ampleur du phénomène grâce à des études épidémiologiques ;
  • détecter rapidement les souches résistantes ;
  • prévenir la dissémination des résistances par un bon usage des antibiotiques et la mise en place de mesures d’hygiène ;
  • développer de nouveaux médicaments », résume le Pr Patrice Nordmann, directeur de laboratoire Inserm à titre étranger, et directeur du département de microbiologie de l’Université de Fribourg (Suisse).
Tant que nous utiliserons des antibiotiques, le phénomène d’antibiorésistance existera.
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Résistance aux antibiotiques

Bien identifier le problème

Aujourd’hui en France, le problème de l’antibiorésistance se pose surtout à l’hôpital : d’après l’Inserm, en 2015, plus de 12 % des infections nosocomiales étaient liées à des souches d’Acinetobacter baumannii résistantes à l’antibiotique imipenème (un antibiotique de la famille des bêta-lactamines). De même, plus de 15 % des souches de staphylocoques dorés étaient résistantes à la méticilline. Ces bactéries peuvent être à l’origine d’infections pulmonaires, osseuses et de septicémies, en particulier dans les unités de soins intensifs. Par ailleurs, on constate aussi l’émergence de souches bactériennes capables de produire des enzymes (béta-lactamases ou carbapénémases) qui détruisent les antibiotiques de « dernier recours ».


« En France, nous avons mis en place à l’hôpital des procédures pour identifier et dépister rapidement les personnes susceptibles d’être colonisées par des bactéries résistantes, afin de limiter au mieux leur transmission, explique le Dr Dortet. Mais ce n’est pas le cas dans d’autres pays. Il faut que ces bonnes pratiques se généralisent


À l’échelle mondiale, l’OMS a lancé en 2015 un système de surveillance de la résistance aux antimicrobiens (GLASS) qui porte notamment sur les antibiotiques. Objectif : regrouper les données cliniques et épidémiologiques dans le monde entier. Début 2018, le premier rapport du GLASS a ainsi révélé que « les taux de résistance à la pénicilline, médicament utilisé depuis des décennies pour traiter la pneumonie partout dans le monde, vont de 0 % à 51 % dans les pays surveillés. De plus, entre 8 % et 65 % des bactéries Escherichia coli associées aux infections urinaires présentent une résistance à la ciprofloxacine, un antibiotique couramment utilisé contre ces infections. » C’est une première étape importante pour mieux prendre la mesure de la gravité de l’antibiorésistance à l’échelle mondiale. 
Aujourd’hui en France, le problème de l’antibiorésistance se pose surtout à l’hôpital.

Développer de nouvelles approches thérapeutiques

Si aucune nouvelle famille d’antibiotiques n’a été mise à la disposition des médecins depuis 20 ans, plusieurs innovations thérapeutiques ont cependant vu le jour. La piste la plus intéressante est celle des inhibiteurs de bêta-lactamases : ces molécules bloquent les enzymes bactériennes capables de détruire les antibiotiques de type bêta-lactamines (pénicilline, céphalosporine).  Ainsi, depuis 2016 en France, on dispose de médicaments associant une forme nouvelle de céphalosporine et un inhibiteur de bêta-lactamases appelé avibactam. Actuellement, plusieurs inhibiteurs de la famille chimique de l'avibactam, en association avec d'autres antibiotiques, sont en développement ou en cours d’évaluation dans le cadre d’essais cliniques.


Certaines entreprises de biotechnologies, et notamment la Française Pherecydes, placent leurs espoirs dans les phages, ces virus capables de s’attaquer spécifiquement à des bactéries. Des essais cliniques sont d’ailleurs en cours pour évaluer leur intérêt pour traiter les infections cutanées chez les grands brûlés, et les infections pulmonaires chez des malades atteintes de la mucoviscidose. « C’est une piste intéressante pour des cas d’impasse thérapeutique », remarque le Pr Xavier Nassif, microbiologiste à l’Institut Necker Enfants Malades (AP-HP, Paris).

D’autres équipes songent à développer des antivirulents, c’est-à-dire des molécules qui ne tuent pas la bactérie mais qui inactivent les facteurs de virulence qui la rendent dangereuse pour l’Homme. « En théorie c’est très intéressant, mais pour l’instant aucune étude n’a abouti à la mise au point d’un médicament, souligne le Pr Nassif. Tant que nous n’avons pas trouvé de nouveaux antibiotiques, il est essentiel de préserver l’efficacité de ceux actuellement à notre disposition, en faisant une utilisation la plus raisonnée possible et en développant les mesures d’hygiène et de prévention pour limiter la dissémination des souches bactériennes résistantes. » 

Tant que nous n’avons pas trouvé de nouveaux antibiotiques, il est essentiel de préserver l’efficacité de ceux actuellement à notre disposition.

VRAI / FAUX sur les antibiotiques

Biofilms et tolérance aux antibiotiques

« À l’état naturel, les bactéries vivent en général regroupées : ont dit qu’elles forment des biofilms. Ces couches de bactéries peuvent se développer par exemple à la surface des cathéters ou des prothèses médicales… Ainsi, la plupart des infections nosocomiales sont dues à des bactéries échappées d’un biofilm. Le problème est le suivant : sous forme de biofilm, même des bactéries non résistantes peuvent survivre à un traitement antibiotique et sont capables de se multiplier à nouveau dès l’arrêt du traitement. On parle de tolérance du biofilm et non pas de résistance aux antibiotiques, car cette caractéristique est réversible et non héritée.

Cette tolérance aux antibiotiques s’explique notamment parce que certaines bactéries sont en dormance : dans cet état, où leur métabolisme est très ralenti, elles sont insensibles aux antibiotiques.

Au laboratoire, nous étudions les causes et les conséquences de la tolérance du biofilm aux antibiotiques et nous testons différentes approches anti-biofilms. L’une des stratégies explorées consiste à “réveiller“ le biofilm en modifiant les conditions environnementales, par exemple en élevant le pH du milieu dans certains types de cathéters, ce qui resensibilise les bactéries aux antibiotiques. D’autres équipes travaillent à modifier les surfaces des matériels médicaux pour empêcher l’adhésion des bactéries menant à la formation d’un biofilm. »

JEAN-MARC GHIGO, Unite de genetique des biofilms, Institut Pasteur (Paris) 

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