Perspectives historiques sur la Cancérologie. Comment la compréhension de la biologie a permis l’émergence de thérapeutiques ciblées telle que l’immunothérapie

Jean-Yves BLAY,
Professeur d’Oncologie Médicale, Université Claude Bernard Lyon I,
Directeur du Centre Léon Bérard,
membre correspondant de l’Académie de Médecine

La cancérologie est une discipline qui a émergé depuis le XIXe siècle à la faveur de l’émergence des classifications histologiques obtenues par l’analyse au microscope des prélèvements de tumeur.

On peut sans doute faire remonter la première thérapeutique médicale spécifique du cancer aux chirurgies de type ovariectomie, proposées à la fin du XIXe siècle par Beatson pour le traitement de cancer du sein localement avancé et qui ont conduit à des publications citées dans des revues médicales. Ces stratégies ont permis d’obtenir une régression le plus souvent transitoire de la tumeur du sein. Ces expériences ont prouvé que l’atteinte d’un cancer pouvait dépendre de l’activité de ces organes, on ne le savait pas encore par l’intermédiaire de la production d’hormones (œstrogène). Cette expérience a constitué la première démonstration de l’activité d’une hormonothérapie dans le domaine des cancers du sein, hormonothérapie qui demeure en 2017 une option thérapeutique majeure pour la prise en charge de ces patientes en phase avancée de la maladie mais également en phase adjuvante où elles permettent de repousser la rechute et d’améliorer la survie. En 1944, Huggins démontrera également l’hormonosensibilité des cancers de prostate, conduisant à un prix Nobel en 1966.

Une deuxième date clé sur la fin du XIXe siècle a été l’identification de la toxine de Coley comme un agent thérapeutique pour le traitement local de tumeurs malignes. Le Dr Coley, travaillant au Mémorial Sainte-Catherine à New York, a développé des lysats bactériens qui, injectés localement sur le site d’une tumeur, permettaient de développer des régressions partielles parfois durables de la maladie. Il est vraisemblable que cette observation témoignait d’une activation du système immunitaire par l’intermédiaire de récepteurs de la famille Toll. La mobilisation de ces récepteurs de Toll constitue une thérapeutique toujours utilisée pour le traitement de certaines tumeurs cutanées en 2018. En outre, l’administration intravésicale de BCG sur laquelle nous reviendrons plus tard est un autre exemple d’une manipulation du système immunitaire utilisé avec des agents infectieux destinés à activer le système immunitaire qui reconnaît alors de manière non spécifique des cellules tumorales et permet de les détruire.
Une troisième date clé sans doute est l’identification d’un cancer transmissible sur le modèle aviaire le sarcome de Rous du poulet est transmissible d’un animal à l’autre. On sait maintenant que le vecteur de ce sarcome de Rous est un rétrovirus. On sait également que rétrovirus contient dans son génome un oncogène c’est-à-dire un gène causant la transformation de la cellule que le virus infecte et lui conférant des capacités de multiplication et de survie identique à celle d’une cellule tumorale. La découverte de ce sarcome transmissible a valu à Rous le prix Nobel de Médecine et de physiologie en 1916. Il a surtout été la première observation de l’importance des rétrovirus que l’on n’avait pas encore identifiés autrement que par l’intermédiaire de ce sarcome transmissible, en cancérologie humaine.

Les rétrovirus ont ensuite complété les modèles d’études importants en oncologie.

Dans les espèces animales, murines, canines, félines, aviaires, on a identifié de nombreux rétrovirus comportant dans leur génome outre les gènes nécessaires pour la réplication virale, les gènes jouant le rôle d’oncogène c’est-à-dire des gènes capables de conférer à la cellule infectée un phénotype similaire à celui qu’on observe dans les cellules cancéreuses. Ces oncogènes, on le sait maintenant, sont des gènes normaux probablement capturés par le rétrovirus parmi les gènes de l’espèce animale infectée par ces rétrovirus. Ces RV, on le sait, se sont insérés dans le génome de la cellule infectée à des endroits précis du génome pouvant aboutir à l’intégration d’un gène de la cellule normale dans le génome viral, intégration maladroite et avec des erreurs de copie. Ces erreurs conduisent à un gène muté codant pour une mproteine mutante, souvent activée, l’oncogène. C’est ainsi que de nombreux oncogènes ont été identifiés au sein de rétrovirus et on peut citer comme exemple l’oncogène Kit, l’oncogène erbB1 également connu sous le nom d’HER1 qui est le récepteur de l’EGF, oncogène HER2, oncogène ABL. Tous ces oncogènes sont ultérieurement identifiés dans les tumeurs humaines au cours des années 1980 et 90. En 1976, une publication identifie dans le virus des sarcomes de Rous, l’oncogène arc et identifie simultanément la présence d’un gène équivalent normal dans le génome des cellules normales. Cette observation a valu à Varmus et Bishop, le prix Nobel de médecine et de physiologie constitue la première démonstration que le génome humain contient des gènes qui s’ils sont mutés dans leur structure ou surexprimés peuvent se transformer en des oncogènes c’est-à-dire des gènes capables de causer la transformation de la cellule en une cellule tumorale

On a ainsi identifié un concept de proto-oncogène, avec un gène normal présent dans le génome de la cellule normale et le terme d’oncogène constituant le même proto-oncogène muté activé contribuant ainsi à la transformation oncogénique.

Secondairement, il a été démontré dans d’autres modèles de virus oncogènes autres que les rétrovirus notamment des virus à ADN du groupe polyome, que certains virus contenaient plus d’un oncogène, indispensable pour la transformation de la cellule normale en une cellule cancéreuse. C’est le cas par exemple pour le virus HPV actuellement accessible à une prévention vaccinale, et qui cause une partie importante des cancers du col de l’utérus. Des modèles expérimentaux ont parallèlement montré dans les cellules humaines en culture que plusieurs oncogènes mutés étaient nécessaires pour passer d’une cellule normale à une cellule cancéreuse, la transfection d’un seul oncogène n’étant que très rarement suffisant pour permettre la transformation d’une cellule normale à une cellule cancéreuse.

Nous sommes au milieu des années 1980 et progressivement sont identifiés des proto-oncogènes et les oncogènes dans les cancers humains dont on commence à mieux comprendre la fonction. Ce sont souvent des facteurs de croissance des cellules normales où des récepteurs de ces facteurs de croissance à la surface des cellules tumorales ou des récepteurs d’hormone ou des molécules régulant la fonction cellulaire et la survie. Les gènes codant pour ces molécules où ces protéines sont mutées, la protéine qui est ainsi produite par la cellule équipée de ce gène mutée est anormale et confère la cellule ces propriétés de cellule cancéreuse.

Parallèlement à ces développements, on identifie des anomalies cytogénétiques associées au cancer et la plus classique est le chromosome Philadelphie, correspondant à une translocation du chromosome 9 et du chromosome 22 identifié à la fin des années 1960 pour lequel on a compris progressivement que cette translocation juxtaposait deux gènes générant ainsi une protéine de fusion. Cette protéine de fusion est l’oncogène. Les translocations géniques ont ainsi été rapidement découvertes dans un nombre croissant de cancers humains identifiés. Ce sont des oncogènes jouant un rôle clé dans la transformation de la cellule normale en une cellule cancéreuse : Ils ont été identifiés dans de nombreux sarcomes tel que le sarcome d’Ewing ou le synovialosarcome ou certains rhabdomyosarcomes. Ils ont été également identifiés dans certains lymphomes notamment le lymphome de Burkitt ou les lymphomes folliculaires équipés de translocation génique spécifique juxtaposant souvent les séquences régulatrices des gènes des immunoglobulines (logiquement très actives dans des lymphocytes B et des oncogènes ainsi surproduit). Les exemples se sont accumulés dans les tumeurs rares et fréquentes d’oncogène ainsi issue de translocation.

Dans les années 1990, on disposait ainsi d’une liste rapidement croissante de gènes altérés dans des cancers fréquents ou moins fréquents dans l’espèce humaine pour lesquels une stratégie thérapeutique pouvait être envisagée :
Il s’agissait par exemple de la translocation 9-22 juxtaposant les gènes BCR et le gène ABL dans les leucémies myéloïdes chroniques : cette enzyme est une tyrosine kinase que l’on pouvait espérer moduler.

L’amplification du gène HER2 retrouvé comme un facteur de pronostic défavorable dans les cancers du sein à la fin des années 1980 était également identifié comme un évènement oncogénique dans ces cancers. La surproduction de la protéine également une enzyme de tyrosine kinase pouvait permettre d’envisager une thérapeutique ciblant cette tyrosine kinase en thérapeutique.

Ces deux exemples vont constituer les 2 premiers traitements, modèles de l’oncologie moléculaire moderne. Dès 1996, des études cliniques exploraient un médicament capable de bloquer l’activation de la kinase ABL et la kinase mutée BCR ABL dans les leucémies myéloïdes chroniques. Les premiers résultats obtenus dans des essais de phase I ont été spectaculaires : des patients ayant échappé aux thérapeutiques classiques pouvaient obtenir des rémissions de grande qualité et durables avec des doses même faibles de ce nouveau traitement en expérimentation. Très vite, ce médicament s’est imposé pour la prise en charge de ces maladies permettant de faire passer l’espérance de vie des patients porteurs de leucémies myéloïdes chroniques d’une médiane de 3 ans à un taux de contrôle tumoral et de survie supérieur à 90 % à 5 ans avec probablement une fraction importante des patients guéris par ce simple traitement. Celui-ci reste plus de 20 ans après un standard thérapeutique difficile à dépasser en première ligne de traitement de cette maladie mais ce résultat remarquable a également débouché sur des découvertes plus larges.
On s’est ainsi rendu compte que la même translocation 9-22 s’observait dans d’autres cancers que la leucémie myéloïde chronique notamment la leucémie aiguë de l’enfant, l’apport thérapeutique de ce médicament était considérable également en termes de gain de chance de survie.
On a également observé que cet inhibiteur de BCR était capable de bloquer l’activité enzymatique d’autres enzymes et notamment d’autres oncogènes, tel que l’oncogène kit. Simultanément vers la fin des années 1990, ce même gène Kit était identifié comme muté, altéré dans une famille de maladie rare du tube digestif, les sarcomes de type GIST (tumeur stromale gastro-intestinale) dont une équipe japonaise a identifié qu’elle était liée pour la majorité des patients à des mutations activatrices de ce gène kit codant pour une protéine ainsi activée, à l’instar de ce que l’on observait pour ABL.

Le traitement par IMATINIB appliqué à cette maladie chez les patients qui n’avaient pas d’option thérapeutique en phase avancée et dont l’espérance de vie était courte du fait de la résistance de cette maladie au traitement classique chimiothérapique a permis de transformer le pronostic vital de cette maladie. Avec une espérance de vie passée de moins de 18 mois à plus de 70 mois, 20 ans après, l’introduction de ce traitement dont l’activité sur la protéine Kit a été découverte en marge de son mode d’action sur Abl qui avait conduit à sa recherche est donc tout à fait remarquable.

De manière intrigante, certaines formes de GIST sont affectées non pas par les mutations du gène Kit mais par une mutation d’un gène cousin PDGFRA (ces deux mutations sont mutuellement exclusives) et l’IMATINIB est également actif contre la plupart de ces mutations. D’autres formes moléculaires de GIST ont secondairement été identifiées, elles ne sont pas toutes sensibles à l’IMATINIB. Ces deux exemples réunis par un même traitement actif et transformant l’espérance de vie d’une maladie réputée incurable en une maladie curable pour la majorité des patients, illustrent bien l’irruption de l’oncologie moléculaire et sa capacité à transformer le pronostic des patients lorsque la compréhension de la biologie est intégrée au développement du médicament. Cependant, ce n’est pas la fin de l’histoire. Les cellules tumorales développent des mécanismes de résistance darwinien sous la pression thérapeutique procurée par l’inhibiteur, en accumulant des mutations supplémentaires sur les mêmes gènes coupables. Ces gènes doublement mutés codent cette fois-ci pour des protéines résistantes à ces médicaments sur le mécanisme souvent assez analogues à celui que l’on rencontre dans l’antibio-résistance. Cette sélection darwinienne très différente de celle que l’on observe sous la pression thérapeutique de la chimiothérapie ou de la radiothérapie par exemple. Elle s’opère de manière clonale c’est-à-dire par endroits seulement au niveau des métastases mais elle est hétérogène et réclame des traitements actifs sur toutes les mutations pour pouvoir exercer une activité anti-tumorale importante. Les inhibiteurs de 2e et de 3e génération de ces tyrosine kinase ABL, Kit et PDGFRA sont en cours d’évaluation ou ont même acquis le statut de médicament autorisé dans certains pays.

Autre exemple de l’efficacité de l’oncologie moléculaire et de la médecine de précision, les cancers du sein équipés d’amplification de HER2 se sont vus proposés à la fin des années 1990 des traitements par anticorps dirigés contre cette protéine. Ces traitements ont permis d’améliorer de manière très significative la survie des patientes en phase avancée mais plus encore d’améliorer le taux de guérison des patients en situation localisée. Il ne s’agit d’environ que de 15 % des patientes porteuses d’un cancer du sein mais l’administration du traitement en situation adjuvante a permis de transformer cette maladie de pronostic médiocre en des maladies curables chez la majorité des patients. Là encore la compréhension des mécanismes de résistance avec l’intervention d’autres types de récepteurs cousins de ce premier récepteur a permis l’émergence de nouvelles thérapeutiques, d’autres anticorps reconnaissant en particulier les récepteurs HER3, qui sont coactivés chez ces patientes et pour lequel un traitement par anticorps a pu permettre, lorsqu’il est combiné à l’anticorps initial HER2 d’améliorer de manière à nouveau très significative le pronostic en phase avancée.

On l’a dit toutes les cellules cancéreuse sont affectées par des mutations d’oncogènes de gènes suppresseurs de tumeur. Mickael Bishop prix Nobel pour la découverte des oncogènes cellulaires avait dit lors de son discours de prix Nobel que le cancer est une maladie des gènes de la cellule cancéreuse. La mutation décrite ci-dessus pour les gènes Kit, ABL, HER2 sont présentes également dans d’autres tumeurs. D’autres mutations d’oncogènes classiques RAS, RAF, ALK, TRK, CF1R, HER1, ROS… sont présentes dans une fraction de cancer fréquent (par exemple cancer du poumon, lymphome, cancer du sein mélanome…) et sont accessibles à des traitements ciblés contre les formes mutées de ces récepteurs. Ces traitements sont donc actifs sur des cancers très différents mais n’ont été souvent développés que sur un nombre limité de cancers aboutissant ainsi à leur autorisation de mise sur le marché sur un nombre d’indications plus étroit que ce qui serait disponible.

Les grands principes de la médecine de précision en cancérologie également appelée également oncologie moléculaire et thérapeutique sont de proposer des traitements sur la base de ces anomalies moléculaires quel que soit le type histologique de la maladie. En somme, on ne regarde plus l’origine du cancer, on regarde ses mutations et c’est cela qui guide le traitement. Cette révolution est en marche, se déploie à une vitesse là encore inédite dans toute l’histoire de la médecine : désormais les techniques de caractérisation moléculaire, complexes et onéreuses il y a encore un petit nombre d’années, sont désormais accessibles sur l’ensemble du génome avec les outils de génomique et de bio-informatique qui sont à notre disposition.

Plusieurs programmes thérapeutiques de grande ampleur en France et dans le monde ont d’ailleurs analysé sur des milliers de patients l’altération moléculaire afin de guider le traitement. On peut citer ainsi des programmes comme ACSE, SAFIR, SHIVA, PROFILER et MOST en France. Des questions majeures de la médecine de précision dans le futur en oncologie sont de savoir s’il sera possible de décliner des traitements sur la majorité des patients et comment faudra-t-il les combiner ?

Un des sujets que nous avons abordés dans l’historique de cette oncologie moléculaire est celui de l’immunothérapie. Nous avons rappelé qu’à la fin du siècle dernier la toxine de Coley a été un des premiers traitements médicaux du cancer. Dans le courant des années 1950, une théorie appelée théorie de l’immunosurveillance des tumeurs stipulait qu’une fonction du système immunitaire était de surveiller l’émergence de cellule cancéreuse qui était reconnue comme anormale, un système immunitaire qui pouvait ainsi s’en débarrasser. Dans ce concept, l’émergence d’un cancer était liée à une déficience du système immunitaire, cellulaire ou humoral, qu’il convenait de rétablir sur le plan thérapeutique. Cette théorie en grande partie inexacte recelait cependant des points importants qui ont été ultérieurement confirmés. Ainsi il a été démontré que le patient porteur d’une immunodépression congénitale acquise par thérapeutique ou induite par le SIDA par exemple, développait plus de cancers que les autres patients. Ces cancers avaient la caractéristique d’être dû à des virus oncogènes qui devenaient chez ces patients beaucoup susceptibles de permettre le développement de cancers agressifs que chez les patients équipés d’une immunité normale. Chez les patients, il devenait donc d’une importance majeure de rétablir le fonctionnement normal du système immunitaire, il a pu être démontré notamment chez les patients HIV ou greffés et traités par immunosuppression postgreffe d’organe quand colligeant l’immunosuppression le cancer pouvait régresser.

Dans les années 1960 et 70, le concept de l’immunosurveillance des tumeurs a conduit à développer des stratégies thérapeutiques se proposant d’activer de manière non spécifique le système immunitaire avec les outils dont nous disposions à l’époque. Par exemple, des bactéries telles que le BCG données à forte dose dont on pouvait espérer qu’elles pourraient permettre d’obtenir des rémissions sur des cancers en phase avancée. Ces stratégies conduites avec des plans de recherche souvent insuffisamment rigoureux selon nos critères actuels n’ont pas pu permettre de démontrer l’action de l’immunothérapie. Cependant quelques indications demeurent telles que la BCG thérapie des tumeurs superficielles de vessie qui reste un traitement standard en application locale intra-vésicale encore de nos jours.

L’immunothérapie a franchi une nouvelle étape au début des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990 avec le traitement par cytokine recombinante essentiellement Interféron Alpha et Interleukine 2, recombinantes, qui ont été développées sur le plan thérapeutique dans l’objectif de stimuler de manière non spécifique l’immunité cellulaire et humorale en utilisant différentes doses de cytokine réputées stimulantes du système immunitaire afin de permettre à celui-ci de réagir contre les cellules tumorales et de les détruire. Ces expériences n’ont été que partiellement couronnées de succès. L’immunothérapie par cytokines recombinantes a effectivement permis d’obtenir des rémissions sur un petit nombre de patients mais ces rémissions étaient de courte durée et ne se sont pas nécessairement traduit par une amélioration du pronostic vital par cette thérapeutique peu active, qui existait alors. Ces médicaments qui existaient tels que l’Interféron Alpha et l’Interleukine 2 ont été cependant administrés jusqu’à la fin des années 1990 chez les patients porteurs de cancer du rein et de mélanome avec un impact thérapeutique modeste mais détectable et quelques longs survivants. Une des questions qui s’est posée alors était de comprendre les mécanismes de résistance à l’immunothérapie. Il est apparu qu’un des paramètres clés associés à une absence de réponse à l’immunothérapie et à une progression tumorale rapide était la production par les cellules tumorales et in vivo chez les patients atteints de cancer, de facteurs d’immunosuppression qui bloquaient le développement de la réponse immunitaire, ceux-ci ont été très partiellement compris à cette époque avec une cytokine immunosuppressive cependant était identifiée comme facteur de résistance à l’immunothérapie. Parmi celle-ci le VEGF et l’IL6. Une des approches thérapeutiques qui sera basée sur ces observations permettra le développement dans les années 2000 de combinaison d’Interféron Alpha et d’anticorps anti-VEGF notamment pour le traitement du cancer du rein avec des succès thérapeutiques établis.

Pendant le courant des années 2000, l’immunothérapie a cependant connu un coup d’arrêt ne parvenant pas à obtenir des résultats équivalents à celles des thérapeutiques ciblées. C’est avec l’évaluation aux études de phase I de molécules bloquant les points de contrôles immunologiques (Immun Check Point) notamment Ac anti-CTLA4 et PDL1 que l’immunothérapie du cancer va connaître un développement fulgurant qui est celui que l’on observe ces dernières années.

Avec les anticorps anti-CTLA4, c’est le traitement du mélanome qui a été transformé avec la démonstration en situation métastatique et en situation adjuvante que les patients porteurs de mélanome pouvaient obtenir des rémissions complètes de longue durée et pouvaient gagner de manière très significative en survie par rapport aux thérapeutiques chimiothérapiques classiques (qui n’avaient pas connu d’amélioration depuis le milieu des années 1970). Les anticorps anti-PD1 (le récepteur) ou anti-PDL1 (le ligand) présent sur les cellules immunitaires est détourné par les cellules tumorales (pour ce qui est de PDL1) pour désactiver le système immunitaire vont être les éléments déclenchants de cette révolution thérapeutique qu’est l’immunothérapie du cancer depuis quelques années.

On a ainsi pu démontrer que l’on est capable d’améliorer la survie des patients avec ces nouvelles stratégies an anti-ICP par rapport aux traitements classiques. Rapidement, on a également pu démontrer que l’on améliore la survie (en comparaison aux anticorps anti-CTLA4 dans le mélanome), avec des Ac anti-PD1 seuls ou en combinaison avec anti-CTLA4. Cette démonstration a également été rapportée dans le cancer du rein et dans le cancer du poumon : c’est actuellement plus d’une vingtaine d’indications identifiées pour l’immunothérapie anti-point de contrôle immunologique qui sont reconnus par les agences de santé comme permettant d’améliorer de manière significative la survie des patients dans les cancers métastatiques.

Dans le mélanome malin, il a même été démontré que le traitement par anti-CTLA4, et très récemment en 2017, par anti-PD1 en situation adjuvante permettait d’améliorer de manière très significative la survie de ces patients.

L’immunothérapie du cancer en particulier anti point de contrôle immunologique est donc active sur la majorité des cancers mais chez une proportion de patients variables selon les cancers. On commence à mieux identifier les paramètres qui permettent de prédire l’efficacité d’un traitement : la présence d’une charge néo-antigénique importante dans la cellule tumorale (liée aux protéines mutées dans les cellules cancéreuses), la présence d’un infiltrat immunologique, l’expression de la molécule PDL1, l’aneuploïdie, la stabilité génétique sont toutes des caractéristiques biologiques démontrées liées à l’efficacité à l’immunothérapie.

En 2017, on observe un changement de paradigme conduisant la mise d’autorisation sur le marché (sur le territoire américain pour l’instant) de ces anticorps pour les patients porteurs de mutation de gènes de réparation de l’ADN codant ainsi pour des mutations multiples dans les cellules tumorales, mutations recevant une charge antigénique élevée. On est donc là encore tout comme pour les thérapeutiques ciblées sur des thérapeutiques agnostiques du fait du type histologique ciblant le mécanisme moléculaire de l’oncogénèse puisque ce type de cellules tumorales identifiées sur tel ou tel organe.

En conclusion, la médecine moléculaire du cancer a transformé la prise en charge des malades au cours des 15 dernières années. Elle a été permise par une compréhension progressive, méthodique, rigoureuse au cours des 100 dernières années sur les mécanismes moléculaires du cancer conduisant l’identification des oncogènes et les gènes suppresseurs des tumeurs ainsi qu’au mécanisme de désactivation du système immunitaire développé et détourné par les cellules tumorales.

La cancérologie thérapeutique actuelle est donc une cancérologie de précision basée sur la compréhension des mécanismes permettant de guider le traitement chez les patients de façon individuelle.

Nous ne sommes qu’aux premières étapes de cette transformation majeure qui va conduire à l’utilisation des anomalies génomiques pour qui des traitements atteints de cancer grâce au progrès de la génomique avec une meilleure compréhension de la biologie des cancers.
C’est la connaissance de la biologie qui a permis de développer cette thérapeutique de précision et la connaissance.

De nombreux autres problèmes restent à résoudre notamment le coût du développement et de la mise à disposition de ces médicaments sur une large fraction de la population sont un retard croissant malheureusement dans notre pays.

  1. Permettre la caractérisation moléculaire et immunologique de tous les cancers en routine,
  2. Mettre à disposition les nouveaux traitements en France, qui accuse désormais un retard considérable sur ce plan par rapport aux autres pays européens, y compris le Royaume-Uni qui est désormais largement devant nous pour la mise à disposition des nouveaux médicaments,
  3. Faciliter la mise en place de la recherche clinique innovante dans notre pays, qui accumule les embûches administratives, et les retards sur ce plan.
     

Cependant gageons que les barrières administratives ne pourront empêcher ce tsunami thérapeutique issu des thérapeutiques ciblées qui sont en train de transformer l’histoire naturelle des maladies cancéreuses et de guérir un nombre croissant de patients.

Pierre Joly, docteur en pharmacie, fut président de la Fondation pour la recherche médicale, puis président de l’Académie nationale de pharmacie et de l’Académie nationale de médecine. Il est l’auteur de plusieurs publications dont Les Médicaments du futur, Odile Jacob (2009).
Les droits d’auteurs du livre « La Recherche Médicale, une passion française » seront reversés à la Fondation pour la Recherche Médicale.
Le livre sort le 3 octobre 2019.
Pour le commander (18€) : rendez-vous sur lisez.com ou sur chez tous les distributeurs culturels (FNAC, Cultura, etc.)

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